À l’hiver 2003, sous un froid glacial, 150 000 Québécois marchaient dans les rues de Montréal pour dénoncer la guerre en Irak, tandis que 15 000 personnes se mobilisaient à Toronto. Plus récemment, à l’été 2006, une dizaine de milliers de Montréalais manifestaient contre l’intervention militaire d’Israël au Liban. Les Québécois seraient-ils plus pacifistes que les autres Canadiens? La société québécoise aurait-elle une perception différente de l’usage de la force dans les relations internationales?
Une vingtaine de chercheurs du Québec et du Canada anglais débattront de ces questions, les 5 et 6 octobre prochains, lors d’un colloque organisé par la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes, en collaboration avec le Centre d’étude des politiques étrangère et de sécurité (CÉPES) et la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec. L’événement, qui a pour thème «La société québécoise face aux enjeux de défense du Canada», se tiendra à la Salle des Boiseries (pavillon Judith-Jasmin) de l’UQAM.
La guerre en Irak, la participation attendue du Canada au système américain de défense anti-missile et la mission en Afghanistan ont fait resurgir le vieux débat concernant l’attitude du Québec à l’égard des questions relatives à la défense et à la guerre. «Depuis la guerre des Boers au tournant du XXe siècle jusqu’au conflit en Afghanistan, en passant par les deux guerres mondiales, on a toujours observé un clivage entre francophones et anglophones. Le colloque permettra de questionner sa nature et son importance», note Stéphane Roussel, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes.
Un léger écart
Selon le politologue, le Québec comme le reste du Canada demeurent prisonniers de l’image associée au plébiscite de 1942, alors que 80 % des Québécois francophones avaient rejeté la conscription, et que 75 % des Canadiens anglais l’avaient approuvé. «Il est vrai que les Québécois sont généralement plus réfractaires que les Canadiens anglais aux interventions militaires à l’étranger, mais l’étude des sondages d’opinion publique réalisés au cours des dernières années montre que la différence n’est que de l’ordre de 10 %», souligne M. Roussel.
Le chercheur tient à nuancer l’image d’un Québec différent, pacifiste, qui rejetterait l’usage de la force. Lors de la guerre du Kosovo, en 1998, l’appui aux opérations de l’OTAN était aussi fort au Québec qu’ailleurs au pays, rappelle-t-il. Et l’opposition de la population québécoise à une présence militaire en Afghanistan est sensiblement la même que celle observée au Canada anglais.
Servir une cause juste
L’écart, même faible, entre Québécois et Canadiens anglais serait lié à une tendance historique, explique M. Roussel. «Les Québécois n’ont jamais aimé se battre pour défendre les intérêts d’une puissance étrangère, qu’il s’agisse de la Grande-Bretagne ou des États-Unis. Peut-être sont-ils plus isolationnistes que pacifistes. Pour soutenir une intervention militaire à l’étranger, les Québécois doivent avoir le sentiment qu’elle est légitime et qu’elle sert une cause juste.»
La perception de l’histoire militaire du Canada est aussi fort différente au Québec, précise-t-il. «Pour un Canadien anglais, le Canada a toujours été dans le camp des vainqueurs. Mais si on demande à un Québécois de nommer deux grandes batailles marquantes dans l’histoire canadienne, il risque fort de citer celle des Plaines d’Abraham et le débarquement à Dieppe, qui sont deux défaites militaires.»
Le colloque abordera d’autres thèmes comme le rapport entre la politique de défense du Canada et l’unité nationale, la guerre en Afghanistan et l’influence du Québec sur la politique étrangère canadienne. «Certains prétendent que la souveraineté du Canada dans l’Arctique serait présentement menacée. Mon hypothèse est que cette histoire est montée en épingle par les politiciens pour alimenter la fierté et l’identité nationales. En clamant que le Nord appartient au Canada, le gouvernement conservateur veut ainsi montrer qu’il n’est pas à la remorque de son puissant voisin.»
Quant au rôle du Québec dans la politique étrangère canadienne, il est souvent dérangeant et provocateur, affirme M. Roussel. «Dans certains dossiers, comme celui de la diversité culturelle, il se fait même le gardien d’une tradition remontant à l’ancien premier ministre canadien Lester B. Pearson, soit l’indépendance vis-à-vis des États-Unis.»