Madagascar, que l’on appelle la Grande Île, a perdu près des trois quarts de son couvert forestier et la richesse de sa biodiversité s’en trouve menacée. les paysans sont pointés du doigt parce qu’ils défrichent surtout pour la culture agricole et pour le charbon de bois. Pressé de freiner cette dégradation, le gouvernement a déployé au début des années 1990 un Plan d’action environnemental (Pae) misant notamment sur l’écotourisme pour à la fois protéger les ressources naturelles, lutter contre la pauvreté et stimuler la croissance économique. Ces trois objectifs sont-ils conciliables?
Professeur au Département d’études urbaines et touristiques, Bruno Sarrasin s’est intéressé à la question dans le cadre d’un projet de recherche intitulé «Sociogenèse de l’écotourisme comme stratégie de développement durable à Madagascar». Il a publié plusieurs articles à ce sujet, notamment dans la revue Téoros (2002) qu’il dirige, mais aussi dans la Revue canadienne d’études du développement (2005), Loisir et société (2005) ainsi que Alternatives Sud (2006).
Ce projet de recherche, financé par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) et le Programme d’aide financière à la recherche et à la création (PAFARC) de l’UQAM, constituait le prolongement des études doctorales du professeur Sarrasin, complétées à l’Université de Paris I en science politique.
«Ma thèse m’avait permis de démontrer qu’une grande partie des problèmes de mise en oeuvre du PAE reposait sur l’écart important entre la façon de percevoir le problème environnemental par les Occidentaux et celle des paysans malgaches», explique-t-il. Pour les bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale, la problématique de la dégradation des ressources naturelles va de pair avec une croissance économique anémique. En simplifiant à l’extrême : si les paysans ruraux intègrent le système économique de marché, ils ne seront plus dépendants de leurs pratiques de survie qui dégradent l’environnement. Avec l’écotourisme, le gouvernement croyait donc faire d’une pierre deux coups!
L’écotourisme n’est cependant pas une panacée, a constaté Bruno Sarrasin, qui s’est rendu à Madagascar afin d’étudier sur place les cas de deux parcs nationaux, ceux de Ranomafana et d’Isalo. «L’écotourisme ne profite qu’à une minorité de gens du pays, principalement les élites de la capitale, conclut-il. Pour accueillir les touristes, il faut parler des langues étrangères et posséder un minimum de scolarité, ce qui n’est pas le cas des paysans.» Si on ne parvient pas à augmenter significativement le niveau de vie des paysans avec l’écotourisme, est-ce que l’on réussit à protéger davantage les aires naturelles et à freiner la déforestation? «Pas vraiment, répond M. Sarrasin, puisque les paysans poursuivent leurs pratiques dommageables pour l’environnement.»
En somme, les expériences d’écotourisme à Madagascar ressemblent davantage à un nouveau cheval de Troie pour le capitalisme qu’à un véritable plan d’action environnemental, constate pour l’instant Bruno Sarrasin, qui poursuit ses recherches sur le sujet.