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Des Uqamiens pour un Québec durable

Par Marie-Claude Bourdon

30 avril 2007 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Le Québec souffre-t-il d’immobilisme? Selon les signataires du Manifeste pour un Québec durable, publié le 11 avril dernier, l’immobilisme ne se situe pas du côté des citoyens qui protestent contre les projets de centrale thermique, de port méthanier ou de prolongement de l’autoroute 25, mais bien du côté de leurs promoteurs publics et privés. Nos leaders «sont ancrés dans des façons de penser et des modèles de développement qui étaient valables il y a 30 ans et qui ont servi au développement de l’économie du Québec, mais qui ne suffisent plus pour faire face aux défis d’aujourd’hui», observent la professeure Corinne Gendron, de l’École des sciences de la gestion, et le doctorant en sciences de l’environnement Alain Fréchette. Tous deux sont signataires de ce manifeste qui regroupe des intellectuels de plusieurs universités québécoises et dont Karel Mayrand, chargé de cours à l’UQAM, a été l’initiateur.

Après celle des «solidaires», cette réponse au manifeste Pour un Québec lucide veut remettre les pendules à l’heure. «On ne peut parler de la dette du Québec sans parler de la dette écologique que nous nous apprêtons à léguer aux générations futures», souligne Corinne Gendron. Selon les «durables», loin d’être l’expression d’une inertie sociale, les manifestations contre certains projets de développement économique dénotent au contraire «une évolution fondamentale des intérêts et des aspirations des citoyens qui souhaitent aujourd’hui que leur soient présentés des projets stimulants et structurants du point de vue non seulement économique mais aussi social et environnemental.»

«La comptabilité à partir de laquelle on évaluait les projets doit être modifiée pour refléter la nouvelle réalité, affirme Corinne Gendron. On ne peut plus prétendre à la rentabilité d’un projet sans tenir compte des impacts environnementaux.»

Cinq orientations

Pour affronter les défis de l’heure, un nouveau modèle québécois s’impose, affirment les signataires du manifeste, qui proposent cinq grandes orientations :

  1. cesser de creuser notre déficit écologique en dilapidant nos ressources naturelles;
  2. serrer la vis aux pollueurs;
  3. prévoir et gérer le risque climatique;
  4. révolutionner la planification de nos espaces urbains;
  5. écouter la parole des citoyens.

Les «durables» dénoncent le design de nos villes, qui encourage le recours systématique à l’automobile, ainsi que l’absence de normes dans le domaine de la construction. «On construit de nouveaux bâtiments sans se soucier d’efficacité énergétique, des bâtiments mal orientés, qui n’exploitent pas la géothermie», déplore Corinne Gendron. Et quand il existe des lois et des règlements, ceux-ci ne sont pas appliqués, ajoute Alain Fréchette : «C’est en partie parce qu’il a voulu exiger le respect des normes relatives à la protection des aires humides que l’ancien ministre de l’Environnement Thomas Mulcair a perdu son poste.»

En ce qui a trait aux émissions polluantes, le manifeste prône des règlements plus sévères et un renforcement de leur mise en application. Ailleurs, il propose des incitatifs pour encourager le recours aux technologies vertes. Dans l’ensemble, il invite à réinventer nos modes de fonctionnement. Un exemple? «Au Québec, la forêt appartient en grande partie au domaine public et les baux qui permettent de l’exploiter sont consentis pour des périodes renouvelables de cinq ans, explique Alain Fréchette. Cela n’encourage pas les investissements à long terme. Au contraire, on a toujours eu tendance à exploiter un territoire jusqu’à épuisement, puis à changer de carré. Peut-être que la solution consisterait à décentraliser la gestion de la forêt au maximum et à la remettre aux localités. En Scandinavie, où la forêt appartient à de petites coopératives et à de petits exploitants privés, la gestion de la ressource donne de bien meilleurs résultats.»

Des investissements importants

Il est évident que changer nos façons de faire nécessitera des investissements importants, répondent les «durables» à ceux qui leur reprochent de ne pas chiffrer leurs propositions. Mais il faut tenir compte des coûts déjà associés à ne rien faire. «Il faut repenser l’organisation de la société et de l’économie, car si on ne fait rien, dans 20 ans, ce sont les changements climatiques qui vont nous imposer nos décisions», dit Corinne Gendron.

Pour les signataires du manifeste, les budgets consacrés à la mission environnementale de l’État québécois, qui représentent moins de 2,5 % des dépenses de programmes du gouvernement, sont insuffisants. «La Loi sur le développement durable double le mandat du ministère de l’Environnement, signale la professeure, mais celui-ci n’a pas reçu un sou de plus pour accomplir sa mission.»

Selon les deux universitaires, il faut investir davantage dans la recherche liée au développement durable, notamment au niveau de la gouvernance. «Tout est axé sur la recherche de solutions scientifiques ou technologiques et il n’y a pas de fonds pour ceux qui s’intéressent aux politiques de gestion de ces enjeux, aux dynamiques sociales et aux conflits entre les acteurs, dit Corinne Gendron. Pourtant, c’est souvent là que réside le problème. Souvent, les technologies existent. C’est simplement qu’elles ne sont pas utilisées.»