Il fallait être en vacances dans un pays étranger, sinon sur une autre planète pour ne pas entendre parler de la prolifération des cyanobactéries dans les lacs du Québec cet été. Pourtant, les «algues bleues» ont donné bien peu de fil à retorde aux riverains de la Belle Province en regard des ravages qu’elles ont causés dans d’autres régions du monde. Près de 3 millions de Chinois qui vivent en bordure du lac Tai Hu – le troisième lac de la Chine, situé à la frontière des provinces du Jiangsu et du Zhejiang, dans le nordest du pays – ont été carrément privés d’eau potable.
«Le lac est entouré de 50 millions d’habitants», explique David Bird, professeur au Département des sciences biologiques et expert en cyanobactéries. «Il est cerné par de nombreuses usines et de vastes territoires agricoles.» Ces activités génèrent des quantités impressionnantes de phosphore, un élément nutritif clé qui précipite la croissance des cyanobactéries. Le lac Tai Hu fait 2 250 kilomètres carrés de superficie, mais seulement deux mètres de profondeur en moyenne, ce qui limite son pouvoir de dilution. Le faible taux de précipitations et les températures élevées de cet été ont contribué à la prolifération des «algues bleues». Dès le mois de mai, l’eau était nauséabonde.
Les autorités ont tout fait pour limiter les dégâts, accélérant le débit des eaux du fleuve Yangtze acheminées jusqu’au lac ou provoquant des pluies artificielles pour aider à diluer les eaux. Malgré ces efforts, plusieurs usines ont dû cesser momentanément leurs opérations et les habitants de la ville de Wuxi, au nord du lac, ont dû se tourner vers les camions-citernes pour s’approvisionner en eau potable.
Mouvement citoyen
À l’occasion du Congrès de la Société internationale de limnologie qui s’est tenu au mois d’août à l’UQAM, une vingtaine d’experts chinois étaient en visite à Montréal pour discuter du problème dans leur pays, en compagnie de spécialistes venus des quatre coins du monde. «Même dans les provinces du centre du Canada, la situation est plus grave qu’au Québec», souligne Yves Prairie, organisateur de l’événement et professeur au Département des sciences biologiques. La bactérie a même causé la mort d’animaux d’élevage dans l’Ouest canadien cet été.
Est-ce dire que la situation au Québec n’est qu’une tempête dans un verre d’eau? «Disons que le niveau d’alarme a peut-être été démesuré, dit Yves Prairie. Il y a dix ans, la situation n’était pas tellement différente d’aujourd’hui. C’est la sensibilisation des citoyens qui a tout bousculé. Le ministère de l’Environnement ne se doutait probablement pas qu’il aurait un tel impact en publiant la liste des lacs touchés, en début d’été.»
Du jour au lendemain, tous les estivants ont tourné leur regard vers leur lac favori. C’est par centaines qu’ils ont contacté le ministère pour que ce dernier dépêche un spécialiste sur les lieux. Dès que ces enquêteurs pensaient détecter la présence de cyanobactéries, le nom du lac était ajouté à la liste du ministère, avant même que les analyses de laboratoire ne soient complétées. Lorsque le test se révélait négatif, on n’enlevait pas pour autant le nom du lac de la liste.
Selon le professeur Bird, même les critères quantitatifs utilisés par le ministère pour sonner l’alarme sont trop sensibles. «Les cyanobactéries ont toujours été présentes dans nos lacs. Or, très peu d’entre elles produisent des toxines. Il ne faut pas partir en peur dès qu’on les détecte dans un plan d’eau. Plusieurs lacs ont reçu des mises en garde cet été alors qu’il n’y avait aucun problème.»
Jeter des ponts
La démarche du ministère aura quand même eu des impacts positifs, essentiellement de sensibiliser les citoyens à l’importance de protéger les lacs. «Il y a effectivement des plans d’eau qui ont des problèmes majeurs», poursuit David Bird. Pour les autres, mieux vaut prévenir que guérir.
Les deux collègues poursuivront le travail avec les cyanobactéries cet automne. Ils comptent entreprendre un projet de recherche en collaboration avec le Consortium Ouranos pour anticiper l’impact des changements climatiques sur la prolifération des cyanobactéries au Québec. Puis, d’ici quelques mois, David Bird s’envolera vers la région du lac Tai Hu, à l’invitation de l’Institut de géographie et de limnologie de Nanjing, associé à l’Académie chinoise des sciences. «Ce sera l’occasion de consolider nos liens et de poursuivre l’échange de nos expériences et nos connaissances respectives.»