L’injustice est accablante : au cours des prochaines décennies, ce sont les pays les plus démunis qui seront les plus durement touchés par le réchauffement de la planète. Selon le rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) déposé à Bruxelles, le 6 avril dernier, 250 millions de personnes risquent de manquer d’eau d’ici 2020. Les pays en émergence sont pourtant dans le peloton de queue des États pollueurs, en ce qui regarde leurs émissions de gaz à effet de serre. Les citoyens du Sud devront donc payer pour la boulimie des pays du Nord… même s’ils n’en ont pas les moyens.
«C’est un problème éthique énorme», commente Laurent Lepage, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement et titulaire de la Chaire d’études sur les écosystèmes urbains. «Les habitants des pays développés ont une responsabilité à l’égard de ceux dont ils ont compromis la sécurité.»
Le professeur a tout récemment terminé un projet de recherche réalisé en collaboration avec l’Agence canadienne de développement international (ACDI), Environnement Canada et AGRHYMET, un centre réunissant des membres de neuf pays africains qui s’intéressent à l’impact des changements climatiques au Sahel. Dirigée par Laurent Lepage, l’équipe s’est intéressée plus spécifiquement à trois pays sahéliens : le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Sur trois années, les chercheurs ont interrogé plus de 500 élus, agriculteurs et autres acteurs locaux.
«Les Africains que nous avons rencontrés ressentent déjà la pression des changements climatiques, raconte le professeur. Les périodes de sécheresse sont de plus en plus longues. Le couvert végétal se réduit au profit de la désertification. En parallèle, la population vit une explosion démographique sans précédent. Le territoire produit de moins en moins de ressources alors qu’il y a de plus en plus de bouches à nourrir. Les conflits pour l’eau ou les terres cultivables vont certainement se multiplier, à l’intérieur des pays et entre les États.»
Au cours de ses recherches, Laurent Lepage a constaté que certains habitants avaient déjà commencé à s’adapter au réchauffement du climat. En adoptant des stratégies pour mieux gérer les surplus alimentaires lorsque la saison est bonne, par exemple, ou en diversifiant leurs activités. De plus en plus d’agriculteurs délaissent une parcelle de leurs terres pour acheter un troupeau et consacrer une partie de leurs efforts à l’élevage. «Quand on arrive dans ces pays, en zone rurale, on a l’impression que rien n’a bougé depuis 400 ou 500 ans. Mais le climat a forcé l’évolution des moeurs.»
Pour aider les habitants du Sahel à mieux s’adapter au réchauffement, Laurent Lepage croit qu’il faut miser sur l’information des communautés et des élus. La planification dans tous les secteurs – que ce soit la santé, l’agriculture ou l’aménagement du territoire – doit tenir compte du bouleversement du climat. Le professeur admet que le défi est de taille. Sur le terrain, on se frotte vite à la réalité du quotidien. «La notion des changements climatiques implique des prévisions sur plusieurs années et plus souvent sur plusieurs décennies. Mais les habitants du Sahel se battent pour leur subsistance. Ils ne veulent pas savoir si la Terre se réchauffera dans dix ans. Ils veulent savoir s’il va pleuvoir demain.»
Laurent Lepage mise beaucoup sur la conscience des habitants du Nord et l’aide internationale pour venir en aide à ceux qui subiront les contrecoups des changements climatiques. Grâce à une aide valable, les pays du Sud pourraient plus facilement s’adapter aux changements à venir. «Et si le territoire devient complètement inhospitalier, il faudra se préparer à accueillir les réfugiés climatiques. L’immigration choisie, évoquée par le candidat à l’élection présidentielle française Nicolas Sarkozy, n’aura pas sa place.»