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Au pays des Mayas

Par Pierre-Etienne Caza

5 février 2007 à 0 h 02

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Le 21 août 2006, huit hélicoptères de l’armée guatémaltèque atterrissent sur le terrain de foot du village de Ixtahuácan Chiquito, communauté maya d’environ 500 âmes, située en pleine jungle, près de la frontière mexicaine. Justification de l’opération : la communauté est soupçonnée d’être un relais pour la vente d’armes aux narcotrafiquants. Après six heures de menaces à la pointe du fusil, d’intimidation et de fouilles, les militaires quittent, bredouilles, laissant les habitants terrorisés. Le souvenir de la guerre civile – et de l’exil forcé au Mexique de 1982 à 1995 – est encore douloureux. Heureusement, certains habitants ont le réflexe d’alerter les médias et de demander l’aide d’organismes internationaux. Mélissa Goupil-Landry et Philippe Marineau-Dufresne, deux étudiants de premier cycle à l’UQAM, se portent volontaires pour agir comme observateurs pendant trois mois en se joignant à l’organisme Projet Accompagnement Québec-Guatemala (PAQG).

«Le principe de l’accompagnement est de fournir une présence dissuasive», explique Mélissa, qui est inscrite au baccalauréat en relations internationales et droit international, pour lequel ce séjour constituait un stage crédité. Son copain Philippe, étudiant au baccalauréat d’enseignement en adaptation scolaire et sociale, l’a suivi pour le plaisir… et parce qu’ils étaient tous deux impliqués dans le comité du PAQG à l’UQAM (un sous-comité du Groupe de recherche d’intérêt public, le GRIP).

Avant leur séjour au Guatemala, Mélissa et Philippe ont dû suivre une immersion de trois semaines en espagnol. «Nous ne maîtrisions pas suffisamment la langue pour décoder les subtilités et les non-dits», précise Philippe. Une formation d’une semaine avec d’autres accompagnateurs leur a également permis de se familiariser avec la situation historique, politique et sociale du pays et de la région à laquelle ils ont été jumelés. «L’accompagnement implique une connaissance des problématiques vécues par la communauté afin de développer un lien de confiance», explique Mélissa.

Les trésors de la terre

Ixtahuácan Chiquito compte une soixantaine de familles, qui ont chaleureusement accueilli les deux étudiants, leur offrant les repas à tour de rôle. «Les conditions de vie y sont rudimentaires, il n’y a ni eau, ni électricité, mais les gens mangent à leur faim», raconte Mélissa en se rappelant les repas répétitifs composés de tortillas de maïs, d’oeufs, de riz, de patates et de fèves noires. «Les jours de fête, nous avions parfois droit à du poulet», dit-elle en riant.

Elle a appris à égrener le maïs et à tisser avec les femmes du village, tandis que Philippe donnait un coup de main aux hommes pour construire une maison ou jouait au football (soccer) avec eux. «Le foot est une véritable religion, ils possèdent même des habits tout neufs pour départager les équipes», dit-il.

La plus grande fierté des Mayas, qui ne possèdent presque rien, est d’être propriétaires de leurs terres dont le sol, très fertile, recèle des ressources (pétrole, gisements miniers et cours d’eau) qui font l’envie de plusieurs. Selon eux, l’incident du 21 août s’expliquerait en partie par la volonté du gouvernement et des compagnies étrangères de faire main basse sur ces ressources. «L’autre aspect du problème, c’est que la région est dirigée par l’Union révolutionnaire nationale guatémaltèque, un parti d’anciens guérilleros», explique Mélissa. Bref, la guerre est peut-être terminée, mais elle semble se poursuivre par d’autres moyens. «Les Mayas n’ont pas l’intention de se laisser déposséder de leurs terres», poursuit-elle.

Au cours des trois mois de leur séjour, aucun incident lié au 21 août ne s’est toutefois produit, mais ils ont vécu une nuit mouvementée durant laquelle le village entier a été tiré du sommeil. «Un cadavre a été trouvé en bordure de la route menant au village. Sur le coup, un vent de panique s’est emparé des habitants, mais finalement il ne s’agissait que d’un règlement de compte. Après deux jours, tout le monde avait oublié… sauf moi!», raconte Mélissa.

«Le rapport à la violence n’est pas le même qu’ici, enchaîne Philippe. Disons que les problèmes se règlent plus violemment. Il n’est pas surprenant que devant la corruption généralisée, la lenteur du système de justice ou les menaces et l’intimidation, d’anciens guérilleros parlent parfois de reprendre les armes.»

Outre leur présence rassurante, leur mission en tant qu’observateurs a consisté à rédiger un rapport par mois sur la situation au village. «Nous nous rendions dans la capitale, un trajet de douze heures de route, où nous remettions notre rapport et avions des échanges avec les autres accompagnateurs de la région», explique Mélissa.

Les adieux, fin décembre, ont été déchirants. «Je crois que je vais y retourner», laisse tomber Mélissa, qui surveillera avec intérêt les élections guatémaltèques qui devraient avoir lieu en septembre 2007. Elle termine son baccalauréat en décembre prochain, tandis que Philippe poursuit son baccalauréat d’enseignement en adaptation scolaire et sociale tout en enseignant à temps plein dans une école de Montréal.

Une rencontre d’information pour les gens intéressés par l’accompagnement international aura lieu le 15 février, à 19h, au bureau du PAQG : 660 rue Villeray, 2e étage. Métro Jean-Talon. (514) 495-3131. www.paqg.org

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L’histoire récente du Guatemala

Entre 1898 et 1944, plusieurs grandes compagnies américaines, dont United Fruit Company, exploitent les ressources du Guatemala à leur guise, avec la complicité des deux régimes dictatoriaux qui se succèdent à la tête du pays. La multiplication de grèves et de manifestations pousse toutefois Jorge Ubico à démissionner en 1944. L’année suivante, les premières élections démocratiques ont lieu au pays.

Juan José Arévalo est élu et entreprend une politique de développement visant à soustraire le pays de la tutelle des compagnies américaines. Son successeur, Jacobo Arbenz Guzman poursuit dans la même veine, jusqu’à ce qu’il soit renversé par un coup d’état, fomenté par la CIA en 1954. L’arrivée au pouvoir des militaires sonne la fin de l’expérience démocratique et le début de la plus longue guerre civile des Amériques, soit de 1960 à 1996.

Le conflit entre les gouvernements répressifs qui se succèdent et la guérilla fait plus de 200 000 morts, en majorité des civils issus de la communauté maya. À partir de 1982, le gouvernement de Efraín Ríos Montt mène une politique de la terre brûlée, rasant 440 villages, décimant les populations autochtones afin de détruire les bases possibles de ravitaillement et de soutien de la guérilla.

Pour échapper à la mort, plusieurs communautés – dont celle de Ixtahuácan Chiquito – choisissent l’exil au Mexique, pays voisin. Elles y demeurent jusqu’en 1995, année précédant la signature officielle des Accords de Paix. Leur retour au Guatemala s’effectue alors sous la surveillance d’accompagnateurs internationaux, dont ceux du Projet Accompagnement Québec-Guatemala.

Depuis, certains tentent de poursuivre en justice les responsables des génocides commis. Les témoins demandent la présence d’accompagnateurs pour éviter d’être victimes de représailles ou d’intimidation.