«Un commissaire, c’est quelqu’un qui se commet pour l’art, qui ose et qui risque», dit avec la fougue qu’on lui connaît celle qui dirige depuis 10 ans les destinées de la Galerie de l’UQAM. Louise Déry reçoit aujourd’hui à Ottawa le Prix d’excellence de la Fondation Hnatyshyn pour le commissariat en art contemporain. Remis pour la première fois cette année, ce prix d’une valeur de 15000 $ accordé à un ou une commissaire à mi-carrière en reconnaissance de sa contribution importante à l’avancement de l’art contemporain au Canada, constitue tout un honneur pour la directrice de la Galerie et pour l’UQAM.
«Je suis très flattée, mais aussi très heureuse parce que les gens savent très peu à quoi ressemble le travail des commissaires et que le prix contribuera à faire connaître la profession», dit Louise Déry en soulignant l’initiative de la Fondation Hnatyshyn qui, un an après avoir créé un prix en arts visuels, innove avec un deuxième prix réservé aux professionnels de l’art.
«Dans le domaine de l’art contemporain, le commissaire est à l’exposition ce que le metteur en scène est à la pièce de théâtre, explique la directrice de la Galerie. C’est lui qui réunit les oeuvres et qui règle les détails de leur exposition en essayant de créer le circuit idéal pour les découvrir.»
Comme le metteur en scène, le commissaire interprète l’oeuvre d’un créateur qu’il a envie de faire connaître. Il est le lien entre le public et l’artiste. «Le commissaire est aussi un médiateur», dit Louise Déry. Médiateur par son travail d’exposition, mais aussi par ses textes. «Quand on est le premier spécialiste à mettre des mots sur une oeuvre, dit la commissaire, cela demande un effort d’imagination très grand pour créer un langage qui soit en résonance avec le travail de l’artiste.»
Une «tête chercheuse»
Louise Déry se définit comme une «tête chercheuse». «En tant que directrice d’une galerie appartenant à une université, je me dois d’être capable de lire les nouvelles tendances, de prendre des risques, d’exposer des choses qui ne l’ont jamais été.» Mais la commissaire n’a jamais craint de s’aventurer en terrain inconnu. C’est d’ailleurs pour le caractère innovateur d’un projet extravagant, Paysages verticaux, une exposition présentée hors les murs du Musée du Québec pendant l’été 1989 et réunissant des artistes tels que Michael Snow, Daniel Buren, Angela Grauerholz, Giuseppe Penone, Dominique Blain et Melvin Charney, qu’elle a déjà reçu un autre prix prestigieux, celui de l’Association des musées canadiens, en 1990.
C’est de cette époque que date son idée de «chantier», une constante dans son travail de commissariat. «J’ai ra rement choisi des oeuvres dans des ateliers, dit-elle. Mon travail consiste plutôt à essayer de voir ce qui émerge dans le travail de certains artistes et de leur proposer une idée. Souvent, l’exposition est une oeuvre en développement, c’est un travail expérimental. Cinq minutes avant le vernissage, on ne sait pas encore à quoi cela ressemblera.»
Travail de proximité
Fidèle à ses artistes, Louise Déry passe beaucoup de temps avec eux, elle expose souvent les mêmes et dit qu’elle n’en aura jamais 300. «Il y a des commissaires qui n’aiment pas travailler avec des artistes vivants, remarquet- elle. Moi, c’est le contraire. Je n’ai jamais publié un texte sur un artiste sans d’abord le lui faire lire. Pas pour son approbation, mais parce que je crois à ce travail dans la proximité, à ce dialogue.»
Parfois, observe-t-elle, c’est le commissaire qui permet au créateur de «voir» son oeuvre pour la première fois. «Des artistes me disent que je leur ai fait découvrir dans leur travail des choses dont ils ne soupçonnaient pas l’existence.» Parfois, cela transforme leur création.
Au cours de sa carrière, Louise Déry a consacré des expositions à de nombreux créateurs, dont Peter Gnass, Raphaëlle de Groot, Gergory Forstner, Rober Racine, Jana Sterbak, Michael Snow ou le philosophe Jean- Luc Nancy. Elle a aussi monté de nombreuses expositions à thématiques ou à problématiques, comme L’Art inquiet. Motifs d’engagement (1998) ou encore L’image manquante (2004) sur la dimension poétique des arts visuels à partir de la question de l’absence, du vide et de l’empreinte.
Parmi ses poulains, le plus célèbre est sans doute David Altmejd, le sculpteur montréalais, diplômé de l’UQAM, qu’elle a proposé pour représenter le Canada à la Biennale de Venise, l’été dernier. Cette participation à la plus importante exposition en art contemporain de la scène internationale a été une consécration pour Altmejd, mais aussi pour sa commissaire que des collectionneurs réputés appellent pour la consulter sur les artistes qui montent. «Une galerie d’art dans une université, c’est comme un laboratoire, dit-elle. Parfois on trouve la bonne molécule.»