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Aménager plutôt que détruire les bidonvilles d’Haïti

Par Claude Gauvreau

19 mars 2007 à 0 h 03

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Trois milliards d’êtres humains – la moitié de la population de la planète – habitent désormais dans des villes. Signe de progrès et de croissance? Pas forcément, quand on sait qu’un milliard d’entre eux vivent dans des bidonvilles, pour la plupart dans les pays en développement, et que leur nombre risque de doubler d’ici 20 ans.

L’Agence canadienne de développement (ACDI) vient d’accorder, pour les six prochaines années, une importante subvention de 1 million $ à trois professeurs associés de l’École des sciences de la gestion, responsables d’un projet qui portera sur le développement urbain durable et la lutte contre la pauvreté dans les quartiers dits «précaires» en Haïti. Dirigé par Paul-Martel Roy (sciences économiques) et ses collègues Jean Goulet et Paul Bodson (études urbaines et touristiques), ce projet est le premier du genre destiné à améliorer les conditions de vie dans les bidonvilles d’un pays du tiers monde.

«L’objectif principal est de créer des programmes de formation et des structures d’appui à l’intention d’organismes publics, d’ONG et de groupes communautaires qui interviennent déjà dans les bidonvilles de Port-au- Prince, explique Paul-Martel Roy. Nos partenaires locaux sont l’Université Quisqueya (UNIQ) de Port-au-Prince et le Groupe de recherche et d’échanges technologiques (GRET) d’Haïti.»

S’adapter aux conditions locales

Port-au-Prince compte plus de 350 bidonvilles où s’entassent 1 800 000 personnes sur une population totale de 2 millions et demi d’habitants. Cité Soleil, le plus gros bidonville des Caraïbes, regroupe à lui seul 300 000 individus. «Ces cités sont de véritables micro-sociétés laissées à l’abandon par un État qui dispose de peu de ressources», raconte Jean Goulet. «Il est vrai que la majorité des résidants sont pauvres, vivant de petits travaux et du commerce, mais tous les milieux sociaux y sont représentés. Même des employés et des professeurs d’université habitent dans des bidonvilles», poursuit M. Roy.

Malgré un développement apparemment anarchique, les bidonvilles sont animés par des comités de quartier, structures de pouvoir local, qui ont imposé des règles d’organisation sociale, non codifiées mais partagées par la population. Cela dit, ces quartiers manquent d’infrastructures (aqueducs, système d’égouts, réseau routier) et les problèmes de salubrité publique, comme la gestion des déchets et l’accès à l’eau potable, sont particulièrement criants. C’est pourquoi le Groupe de recherche et d’échanges technologiques, une ONG haïtienne, travaille à mettre en place des fontaines publiques dans différents quartiers. Une quarantaine d’entre eux, jusqu’à maintenant, en sont dotés.

Certains décideurs politiques haïtiens, influencés par la vision occidentale du développement urbain, croient que les bidonvilles ne devraient pas exister et considèrent qu’il suffit de les raser et de reconstruire à neuf. «C’est une approche irréaliste qui entraînerait l’expulsion de milliers de personnes et la destruction de modes de vie bien établis, soutient M. Goulet. Les solutions doivent être adaptées aux conditions locales et développées en concertation avec les populations à partir des problèmes et des besoins qu’elles ont elles-même identifiés.»

Cap sur la formation

Au coeur du projet se trouve la création d’un programme de formation de deuxième cycle en «aménagement et développement des quartiers précaires» destiné à des cadres, des professionnels et des étudiants de cycles supérieurs en urbanisme. «Il s’agit d’un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) qui sera offert en septembre prochain à l’Université Quisqueya. Cet établissement, situé au centre-ville de Port-au-Prince et entouré de bidonvilles, est renommé pour ses programmes en urbanisme, en gestion et en agronomie», précise M. Roy.

On prévoit également la tenue de séminaires de formation sur mesure en aménagement et développement local pour les membres des comités de quartier et d’ONG. Ceux-ci pourront compter sur la mise sur pied d’un Centre de référence et d’appui (CRA). «Le Centre sera un levier essentiel pour assurer la diffusion d’information, de travaux de recherche et permettre l’organisation de colloques scientifiques, explique Paul Bodson. Il fournira également de la documentation, des guides d’intervention, des services de consultation, ainsi qu’un suivi d’accompagnement dans la réalisation de projets.»

L’objectif ultime, résume Paul-Martel Roy, est de contribuer à la réconciliation entre l’État haïtien et les populations des bidonvilles qui ont tendance à se méfier des autorités politiques. «La société haïtienne est une société fragmentée, ajoute M. Goulet. Aux dernières élections, 65 partis politiques ont présenté des candidats. L’État haïtien est aussi reconnu par la communauté internationale comme un État faible, désorganisé et en voie de reconstruction. Il a besoin d’aide et surtout de projets de développement à long terme. C’est pourquoi il appuie notre initiative.»