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Autisme: des résultats contre-intuitifs

Les enfants autistes apprennent plus facilement quand ils disposent de tout le matériel à la fois.

Par Pierre-Etienne Caza

16 septembre 2021 à 14 h 09

Mis à jour le 16 septembre 2021 à 15 h 09

Photo: Getty Images

Épurer au maximum une situation d’apprentissage pour simplifier la tâche aux enfants autistes afin que leur attention soit optimale est un réflexe partagé par de nombreuses intervenantes, affirme la professeure du Département de psychologie Isabelle Soulières. «Cela part d’une bonne intention. On veut aider l’enfant à apprendre une chose, puis une autre, et ainsi de suite. Sauf que cela ne respecte pas nécessairement la manière d’apprendre des enfants autistes», révèle la chercheuse, qui vient de publier les résultats d’une étude novatrice à ce chapitre dans le Journal of Experimental Psychology.  

L’article présente les résultats de la thèse d’Anne-Marie Nader (Ph.D. psychologie, 2021), dirigée par la professeure Soulières et son collègue Armando Bertone, de l’Université McGill. «Dans sa pratique clinique à titre d’ergothérapeute, Anne-Marie se posait plusieurs questions sur les façons d’apprendre des enfants autistes et sur la manière de leur présenter le matériel durant une activité», raconte Isabelle Soulières, qui dirige le Laboratoire sur l’intelligence et le développement en autisme.  

Pour son retour aux études, Anne-Marie Nader a conçu un projet de recherche avec Isabelle Soulières et Michelle Dawson, une chercheuse autiste avec laquelle la professeure collabore régulièrement. Elles ont formulé deux questions de recherche, l’une portant sur la manière de présenter le matériel pour une activité donnée, l’autre sur la manière de donner de la rétroaction en cours d’apprentissage.

Un échantillon de 54 enfants autistes et 52 enfants neurotypiques (groupe témoin), âgés de 6 à 14 ans, ont participé aux deux activités conçues par les chercheuses, lesquelles consistaient à déterminer si un personnage préférait la glace à la vanille ou la glace au chocolat.

Tout saisir en un coup d’oeil

Pour la première activité, les enfants devaient classer 20 cartes sur un grand panneau divisé en deux sections: vanille et chocolat. Sur chacune des cartes, un personnage tenait un cornet affichant sa préférence. «Nous avons présenté les cartes une à la fois, puis toutes ensemble, précise Isabelle Soulières. Chez les enfants neurotypiques, l’une ou l’autre des façons de faire ne changeait rien à leurs performances, mais les enfants autistes ont mieux performé lorsqu’ils pouvaient voir les 20 cartes à la fois. Cela leur permet de faire des déductions plus facilement, car ils peuvent voir en un coup d’œil les ressemblances et les différences entre les items. Ils sont ainsi capables d’abstraire ce qui est pertinent à la tâche plus rapidement.»

«Quand j’étais intervenante auprès d’enfants autistes, j’avais tendance à enlever tous les objets que je jugeais superflus pour que les enfants puissent se concentrer sur leur tâche d’apprentissage, mais en faisant cela, je m’aperçois aujourd’hui que je ne les aidais pas!»

Isabelle Soulières

Professeure au Département de psychologie

Aucune étude à ce jour n’avait démontré de tels résultats. «Dans les conférences et les ateliers que je donne depuis la fin de notre étude, les personnes qui œuvrent auprès des enfants autistes me disent que ces résultats remettent en question les façons de faire, note Isabelle Soulières. Et pour cause : quand j’étais intervenante auprès d’enfants autistes, j’avais tendance à enlever tous les objets que je jugeais superflus pour que les enfants puissent se concentrer sur leur tâche d’apprentissage, mais en faisant cela, je m’aperçois aujourd’hui que je ne les aidais pas!»

Inutile d’en faire trop

Pour la tâche portant sur la rétroaction, les enfants voyaient apparaître à l’ordinateur le même personnage, parfois affublé d’une moustache, d’une boucle, d’un chapeau ou de lunettes. «L’enfant devait tenter de deviner la saveur de glace préférée et nous lui révélions alors s’il s’agissait d’une bonne ou d’une mauvaise réponse. Puis, nous faisions apparaître le cornet à la main du personnage. Au fil des images, l’enfant pouvait déduire que lorsque le personnage avait une moustache, par exemple, il semblait préférer la glace à la vanille.»

«Chez les enfants neurotypiques, le renforcement avec feu d’artifice a mieux fonctionné, facilitant les apprentissages par rapport à la rétroaction simple. Chez les enfants autistes, il n’y a pas eu de différences entre les deux situations.»

Les chercheuses ont également réalisé l’expérience en ajoutant un renforcement positif. Pour chaque bonne réponse, un feu d’artifice apparaissait afin de souligner la réussite de l’enfant. «Chez les enfants neurotypiques, le renforcement avec feu d’artifice a mieux fonctionné, facilitant les apprentissages par rapport à la rétroaction simple, révèle Isabelle Soulières. Chez les enfants autistes, il n’y a pas eu de différences entre les deux situations.»

Ces résultats pourraient également changer la façon d’intervenir auprès des enfants autistes, poursuit la chercheuse. «On a tendance à penser que pour stimuler les enfants autistes qui ont des difficultés à l’école, on doit faire la même chose qu’avec les enfants neurotypiques, en plus d’exagérer la rétroaction qu’on leur offre. Or, nos résultats démontrent que ça ne semble pas utile», conclut-elle.