Voir plus
Voir moins

Amener le livre québécois à l’ère numérique

Bertrand Gervais obtient 2,4 M$ du CRSH pour le projet de partenariat Littérature québécoise mobile.

Par Pierre-Etienne Caza

19 septembre 2019 à 10 h 09

Mis à jour le 19 septembre 2019 à 10 h 09

Photo: Getty Images

Le professeur du Département d’études littéraires Bertrand Gervais, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les arts et les littératures numériques, a obtenu une subvention d’un peu plus de 2,4 millions de dollars du CRSH pour le partenariat Littérature québécoise mobile (LQM). «Ce projet repose sur le besoin du milieu littéraire de s’approprier le numérique et de s’inscrire dans un monde d’écrans et de réseaux, tout en restant attaché au livre et à sa culture», explique le chercheur.

Depuis Gutenberg, le livre s’est imposé comme le dispositif par excellence de transmission et de conservation de l’information, rappelle Bertrand Gervais. «Or, depuis la révolution numérique, on a vu l’industrie musicale et le monde des arts en général se transformer, tandis que le milieu littéraire, malgré toute la volonté d’embrasser les technologies du 21e siècle, semble “coincé” avec l’efficacité de son médium.»

Auteurs, éditeurs, chercheurs, lecteurs et organismes dédiés à la promotion de la littérature québécoise, tous comprennent l’importance d’effectuer le virage numérique, souligne le professeur. «Cela dit, l’écran ne doit pas absolument remplacer le livre, précise-t-il. Il faut plutôt se demander comment le livre peut s’inscrire dans un environnement enrichi numériquement. Voilà pourquoi nos objectifs visent la mise en relation des divers agents du milieu littéraire en vue d’un approfondissement du savoir-faire numérique.»

«Il y a eu beaucoup d’essais/erreurs au cours des dernières années en lien avec les outils numériques, mais comme ces expériences ont eu lieu en silo, on est condamné à répéter les mêmes erreurs si l’on ne dresse pas un portrait complet de ce qui a été tenté.»

Bertrand Gervais

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les arts et les littératures numériques

Le projet LQM s’intéresse à l’ensemble de la chaîne littéraire: modes d’écriture, d’édition, d’impression, de distribution, de lecture, etc. «Il y a eu beaucoup d’essais/erreurs au cours des dernières années en lien avec les outils numériques, observe  le chercheur, mais comme ces expériences ont eu lieu en silo, on est condamné à répéter les mêmes erreurs si l’on ne dresse pas un portrait complet de ce qui a été tenté.» En plus de documenter les pratiques, le projet vise à soutenir le milieu littéraire en développant de nouveaux outils numériques.

Une vingtaine de partenaires participent au projet, dont 10 co-chercheuses et co-chercheurs, parmi lesquels les professeures Cassie Bérard, Véronique Cnockaert et Nathalie Lacelle de l’UQAM, ainsi que plusieurs organismes et institutions, dont l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), la plateforme Érudit, les Librairies indépendantes du Québec et l’Union des écrivaines et des écrivains du Québec (UNEQ).

L’application Opuscules

L’une des réalisations phares du partenariat, qui compte 12 chantiers, est l’application Opuscules, dont la première mouture a été lancée en 2015 grâce à une collaboration entre l’UNEQ et le Laboratoire NT2 que dirige Bertrand Gervais. Il s’agit d’une plateforme offrant au public des textes originaux provenant d’autrices et d’auteurs de l’UNEQ (les versions audio résultent d’un accord avec CHOQ.ca); une anthologie audio liée à des événements littéraires (soirées de lecture, spectacles et happening littéraires, conférences, tables rondes, discussions); un agrégateur de nouvelles portant sur la littérature québécoise; et un bottin des auteurs, organismes et intervenants littéraires qui ont produit des contenus natifs pour l’application. Les fiches du bottin mettent en valeur les publications disponibles sur la vitrine numérique de la Coopérative des librairies indépendantes du Québec. Une seconde version de l’application, désormais adaptative, a été lancée en 2017 par l’équipe de LQM, l’UNEQ, le NT2 et le collectif Koumbit.

Parmi les autres chantiers, on retrouve la constitution d’un répertoire professionnel, Entre la page et l’écran, qui a pour mandat de rendre accessibles, pour les utilisateurs, un lexique et des outils pour décrire, utiliser et évaluer les différents formats électroniques existants.

«Nous avons également lancé un chantier intitulé “Patrimoine littéraire numérique (PLiNe)”, qui offrira un espace d’hébergement assurant la sauvegarde et la pérennisation de médiathèques littéraires et culturelles numériques dont les sites sont maintenant inexistants ou tombent en désuétude», explique Bertrand Gervais.

Les Rendez-Vous LQM

La première édition des Rendez-Vous LQM aura lieu les 25 et 26 septembre prochains à la Maison des écrivains (3492, avenue Laval, à Montréal). Au programme: ateliers, séance d’idéation, conférence, dîners réseautage et soirée de lectures et de performances. «Cette édition-ci se présente surtout sur le mode de séances de travail sur des projets en cours ou qui verront le jour durant les premières années de financement du partenariat, précise Benoît Bordeleau (Ph.D. études littéraires, 2017), coordonnateur de LQM. La formule sera plus ouverte lors des prochaines éditions.»

Une microhistoire sur une année

L’un des projets ambitieux de l’équipe LQM vise à établir une microhistoire des pratiques littéraires au Québec en contexte numérique. «Il s’agirait de suivre et de documenter l’entièreté des événements littéraires sur un an au Québec», note Bertrand Gervais. Cette microhistoire serait orientée vers les liens de communauté qui se tissent entre les individus lors d’événements, de soirées, de lectures de textes, de tout ce qui fait de la littérature une expérience vivante. «Nous pourrions ainsi voir comment se vit et se pratique la littérature à l’époque des réseaux sociaux et du passage à une culture de l’écran, explique-t-il. Le web 2.0 favorise le développement de communautés d’intérêts, souples, à grande variabilité, non pérennes. Et ces communautés sont au cœur du renouvellement de l’expérience littéraire.»

«Le web 2.0 favorise le développement de communautés d’intérêts, souples, à grande variabilité, non pérennes. Et ces communautés sont au cœur du renouvellement de l’expérience littéraire.»

Parmi les autres chantiers, le partenariat souhaite poursuivre ses travaux portant sur l’accompagnement des revues québécoises et des éditeurs littéraires, et soutenir l’édition numérique jeunesse. «Nous comptons également développer un volet pédagogique et éducatif dans les établissements d’enseignement et les organismes à but non-lucratif afin de familiariser les jeunes lectrices et lecteurs d’aujourd’hui aux différentes manières d’écrire, de concevoir et de comprendre l’objet livre et ses déclinaisons numériques», précise Bertrand Gervais. Des ateliers d’initiation à l’écriture numérique, ainsi que des ateliers d’explorations littéraires avec les outils numériques figurent aussi dans les cartons.

«Le partenariat Littérature québécoise mobile, unique dans le monde francophone, n’a que peu d’équivalents. Il répond à l’urgence du milieu québécois de se mobiliser autour des nouvelles plateformes et d’adopter le virage numérique. Nous espérons qu’au terme de nos cinq années de financement, le projet aura suscité une meilleure concertation entre les intervenants du milieu littéraire québécois tout en s’ouvrant à des organismes de la francophonie canadienne», conclut Bertrand Gervais.