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Chiller sur YouTube

La plateforme la plus populaire auprès des jeunes est un espace d’exploration identitaire, révèle une étude.

Par Claude Gauvreau

4 septembre 2018 à 12 h 09

Mis à jour le 5 septembre 2018 à 7 h 09

YouTube est la plateforme préférée des jeunes Québécois âgés de 12 à 15 ans, loin devant Netflix et les autres sites de télévision. Photo: GettyImages

«Mon maquillage du moment»… «10 astuces de beauté»… «J’ai déménagé. Tour d’appartement»… Ces vidéos dans lesquelles la youtubeuse Emma Verde, 22 ans, se met en scène sont regardées deux millions de fois par mois par des adolescentes et pré-adolescentes. Née en France, Emma Verde avait, en 2016, un demi-million d’abonnés sur son site.

La plus visitée après Google et Facebook, YouTube est la plateforme la plus utilisée par les adolescents québécois (86 %), filles et garçons. Pourquoi cet engouement? Que regardent-ils? Comment choisissent-ils les contenus? La doctorante en communication Nina Duque (M.A. communication, 2000) cherche à répondre à ces questions dans le cadre de son projet de thèse «Chiller sur YouTube: pratiques de visionnement chez les jeunes Québécois âgés de 12 à 15 ans».

De façon générale, l’activité la plus populaire chez les jeunes de cette tranche d’âge consiste à regarder des vidéos sur Internet: émissions et séries télé, films, séries web et vidéoclips. «Leur plateforme préférée est YouTube, loin devant Netflix et les autres sites de télévision, dont Tout.tv, souligne Nina Duque. Nés après l’an 2000, ces jeunes font partie de la première génération d’adolescents qui n’ont pas connu le monde d’avant YouTube, qui ont grandi avec les médias numériques.»

«Quand j’ai demandé aux jeunes que j’ai rencontrés ce qu’ils rêvaient de devenir un jour, la plupart répondaient un youtubeur, pas une rock star. Ce sont les nouveaux influenceurs.»

Nina Duque,

Chargée de cours et doctorante en communication

Le phénomène des youtubeurs

La moitié du contenu que les jeunes regardent sur Youtube provient des sites de ceux que l’on appelle les «youtubeurs». Ces jeunes dans la vingtaine produisent eux-mêmes leurs vidéos et abordent des sujets et des situations dans lesquels les ados et pré-ados se reconnaissent. Les plus populaires ont des dizaines de millions d’abonnés. «Je me rappelle que, plus jeune, Madonna était mon idole, dit la doctorante. Elle influençait mes goûts musicaux et vestimentaires. Quand j’ai demandé aux jeunes que j’ai rencontrés ce qu’ils rêvaient de devenir un jour, la plupart répondaient un youtubeur, pas une rock star. Ce sont les nouveaux influenceurs.»

Dans leurs vidéos, les youtubeurs parlent au «je» et mettent en scène leur vie quotidienne, parfois de la manière la plus triviale qui soit. «Leur univers se rapproche de celui de la téléréalité ou du journal intime, souligne Nina Duque. Les jeunes ont le sentiment que les youtubeurs leur parlent directement, en utilisant leur langage. Ils les perçoivent comme des êtres plus accessibles et authentiques que les vedettes de cinéma, de la télé ou de la scène musicale. Ils commentent leurs vidéos et leur écrivent. Parfois, les youtubeurs leur répondent ou tiennent compte de leurs suggestions.»

Les youtubeurs font toutefois l’objet de critiques. Plusieurs observateurs soulignent que certaines de ces vedettes affichent des comportements stéréotypés, sexistes ou fortement genrés. D’autres les accusent de faire la promotion des valeurs de consommation, rappelant que des entreprises telles que Coca-Cola, L’Oréal ou Proctor Gamble les transforment en véritables vitrines publicitaires pour leurs produits. À l’été 2016, la youtubeuse Emma Verde apparaissait dans une vidéo tournée au festival Osheaga, commanditée par Coca-Cola. On la voyait se balader en robe blanche, sourire aux lèvres et une canette de coke à la main.

«Il y a des zones grises, reconnaît la doctorante. Il est important que les parents s’intéressent à ce que regardent leurs ados. L’école a aussi un rôle à jouer. L’éducation aux médias est nécessaire afin d’apprendre aux jeunes à naviguer sur les plateformes web et à adopter une distance critique.»

«Pour se rencontrer et chiller, les jeunes de ma génération traînaient dans les parcs, dans les cours d’école et dans les centres d’achat. Aujourd’hui, ils flânent sur YouTube.»

L’intérêt de la doctorante pour son sujet de recherche a été nourri par son expérience professionnelle. «J’ai travaillé durant 15 ans en production d’émissions télé destinées aux jeunes, notamment à Télévision Quatre Saisons et à MusiquePlus», précise-t-elle. Aujourd’hui chargée de cours à la Faculté de communication et membre du Centre de recherche sur la communication et la santé, Nina Duque s’est donnée pour tâche d’identifier les types de contenu que les ados et pré-ados regardent sur Internet, à cerner les modalités de leur visionnement ainsi que les significations qu’ils construisent à travers ces pratiques. Sa thèse s’inscrit au sein du projet de recherche «Jeunes et visionnement connecté», dirigé par les professeures Florence Millerand et Christine Thoër, du Département de communication sociale et publique, qui supervisent sa recherche doctorale.

Un guichet unique

YouTube est un carrefour de contenus, une sorte de guichet unique, note la doctorante. «Pour les jeunes, la plateforme remplit la même fonction de divertissement que celle exercée par la télévision traditionnelle.» Mais, contrairement au petit écran, les jeunes peuvent regarder sur YouTube des contenus qui leur ressemblent où et quand ils le veulent, à leur rythme et de manière individuelle, sur l’ordinateur, la tablette ou leur téléphone. «YouTube satisfait toutes leurs curiosités, dit Nina Duque. Nul besoin de fouiller ailleurs, sur Facebook ou Google.»

Plus important encore, la plateforme est un espace de socialisation, d’exploration identitaire et de découverte de soi, affirme la doctorante. «Pour se rencontrer et chiller, les jeunes de ma génération traînaient dans les parcs, dans les cours d’école et dans les centres d’achat. Aujourd’hui, ils flânent sur YouTube.» Bien que solitaires, leurs pratiques de visionnement font l’objet de conversations. «Ils partagent des contenus, les commentent en ligne, adhèrent à des groupes autour d’intérêts communs et se font même des amis, observe Nina Duque. Pour eux, les mondes réel et virtuel sont imbriqués l’un dans l’autre.»

Cet automne, la doctorante poursuivra ses entrevues avec des adolescents et des pré-adolescents et mettra sur pied des groupes de discussion avec des jeunes de différentes appartenances ethniques et d’autres vivant en région. «Je m’attendais à ce qu’ils soient très influencés par ce qu’ils voient sur YouTube, dit-elle. Plusieurs sont capables de voir ce qu’il y a derrière le rideau et ne sont pas aussi naïfs qu’on pourrait le croire… bien moins que certains adultes.»