Les étudiants autochtones rencontrent plusieurs obstacles pour accéder et s’intégrer à l’université. C’est ce que révèle le rapport de recherche «Expériences, politiques et pratiques d’intégration des étudiants.es autochtones à l’université: le cas de l’UQAM», dont le lancement a eu lieu le 27 mars. La recherche visait à documenter la présence des étudiants autochtones à l’UQAM et à comprendre leurs besoins spécifiques.
Cosignée par Laurent Jérôme, professeur au Département de sciences des religions, et Léa Lefevre-Radelli, doctorante et chargée de cours en sciences des religions, la recherche a été réalisée en collaboration avec le Cercle des Premières Nations de l’UQAM (CPNUQAM), le Conseil en éducation des Premières Nations et le Réseau pour la stratégie urbaine de la Communauté autochtone de Montréal, avec l’appui du Service aux collectivités (SAC) de l’Université. L’équipe de recherche, dirigée par Laurent Jérôme, était composée de Léa Lefevre-Radelli, des assistants de recherche Julien Vadeboncoeur (UQAM) et Maxime-Auguste Wawanoloath (Université d’Ottawa), ainsi que de Josée-Anne Riverin, du SAC, et de Gustavo Zamora Jiménez, coordonnateur du CPNUQAM.
À l’occasion du lancement, le vice-recteur à la Vie académique René Côté a annoncé la création d’un groupe de travail sur la réconciliation avec les peuples autochtones. Son mandat touchera des questions telles que l’intégration de la culture autochtone au sein de l’Université et le soutien à la réussite des étudiants autochtones dans leur parcours universitaire. Le groupe de travail soumettra, en septembre prochain, un premier rapport incluant la recension des meilleures pratiques dans le milieu universitaire en matière de réconciliation et de soutien aux peuples autochtones, un portrait de la situation à l’UQAM et une démarche visant la mise en œuvre et le suivi de mesures de soutien à la réussite des étudiants autochtones. Présidé par le doyen de la Faculté de science politique et de droit Hugo Cyr, le groupe est composé de trois autres membres de la Commission des études: la professeure Anne Latendresse (science politique), le chargé de cours Ricardo Penafiel (science politique) et l’étudiante Ximena Zottig (doctorat en biochimie). Le président du CPNUQAM a aussi été invité à se joindre au groupe.
«Plusieurs facteurs ont rendu possible ce rapport de recherche, souligne Laurent Jérôme. Une réflexion est menée depuis 2012 sur la place de la recherche et de la formation sur les questions autochtones à l’UQAM, laquelle a été alimentée récemment par le projet de doctorat de Léa Lefevre-Radelli sur l’accessibilité des autochtones aux études postsecondaires. Les travaux du CPNUQAM ont aussi permis d’identifier les difficultés des étudiants autochtones à s’intégrer à l’Université.»
«Comparativement aux universités anglophones, les établissements francophones tirent de la patte, même si certaines d’entre elles, comme l’Université du Québec à Trois-Rivières et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, ont construit des pavillons dédiés aux étudiants autochtones et développé des programmes et des structures d’accueil spécifiques», rappelle Léa Lefevre-Radelli.
En 2013, la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM a offert son programme de certificat en éducation à la petite enfance à des éducatrices autochtones afin de mieux répondre aux besoins particuliers des enfants des Premières Nations et de leurs familles. À l’automne 2016, l’Université a créé une concentration en études autochtones. Cela dit, l’UQAM accuse un retard en matière de politiques et de pratiques facilitant l’accès, l’accueil et l’intégration des étudiants autochtones, souligne la recherche.
Des chiffres non représentatifs
En se basant sur des données fournies par l’organisme fédéral Affaires autochtones et du Nord Canada, l’UQAM a accueilli 70 étudiants autochtones, sur une population de 42 000 étudiants environ en 2014-2015, se classant au 5e rang parmi les universités québécoises pour le plus grand nombre d’étudiants inscrits originaires de Premières Nations. «Ces chiffres ne sont pas représentatifs de la réalité, affirme Laurent Jérôme. Ils ne concernent que les étudiants bénéficiant du Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire (PAENP) du gouvernement fédéral, dont les fonds sont distribués aux conseils de bande des Premières Nations et des Inuits.»
En fait, il est impossible pour l’instant de savoir avec certitude combien d’étudiants autochtones fréquentent l’Université. Cette situation n’est pas propre à l’UQAM, puisque plusieurs universités au Québec n’ont pas de stratégie de collecte de données ni de méthodes efficaces et systématiques pour identifier les inscriptions d’étudiants autochtones. En outre, certains étudiants ne souhaitent pas être identifiés en tant qu’Autochtones pour différentes raisons, notamment par peur d’être stigmatisés ou d’être interrogés sur leur identité.
Recommandations
1- Créer un espace sécurisant dédié aux étudiants autochtones, qui pourrait prendre la forme d’un local distinct du bureau du Cercle des Premières Nations de l’UQAM.
2- Engager des agents de soutien, eux-mêmes Autochtones ou possédant une bonne connaissance des réalités autochtones, pour répondre aux besoins académiques et personnels des étudiants.
3- Adapter les politiques d’admission.
4- Créer des ponts avec différents milieux (familles, communautés, cégeps).
5- Permettre l’auto-identification de manière non-discriminatoire dans les formulaires d’admission.
6- Développer des cours et des programmes d’études adaptés aux réalités autochtones ou portant sur des enjeux autochtones.
7- Sensibiliser l’ensemble des membres du personnel et les étudiants aux réalités autochtones.
8- Reconnaître la place des Autochtones à l’Université (politique institutionnelle).
Obstacles particuliers
De nombreuses recherches ont souligné la diversité des obstacles rencontrés dans les établissements postsecondaires par les membres des Premières Nations et les Inuits: ruptures générationnelles liées au syndrome des pensionnats, isolement social, éloignement familial, perte de repères en milieu urbain, absence de structures d’accueil et d’intégration.
Pour documenter ces obstacles, l’équipe de recherche a réalisé des entrevues avec 12 étudiants autochtones (8 femmes et 4 hommes), parmi lesquels 5 étaient inscrits à l’UQAM ou nouvellement diplômés et 7 y avaient étudié depuis les années 1990. «Les étudiants éprouvant les plus grandes difficultés durant leur parcours universitaire sont ceux qui proviennent de communautés éloignées, dont le français n’est pas la première langue d’usage et dont les parents ne sont jamais allés à l’université, souligne Léa Lefevre-Radelli. Ces personnes sont très isolées socialement, n’osent pas chercher de l’aide ou ne savent pas qui consulter.»
Les jeunes Autochtones qui viennent étudier à Montréal doivent s’adapter à la fois au milieu urbain et à la culture organisationnelle universitaire. «L’intégration à l’université doit se faire tant sur le plan académique que sur le plan social, dit la doctorante. Comment s’intégrer dans une classe de 150 étudiants qui ne connaissent pas les réalités autochtones ? À cela s’ajoutent parfois des difficultés personnelles: problèmes de santé physique, problèmes d’ordre psychologique ou financier.»
Cela dit, les étudiants autochtones qui parviennent à l’université font preuve de résilience et de détermination. «Certes, la motivation personnelle est un facteur déterminant», note Léa Lefevre-Radelli. Mais cela ne suffit pas toujours. «On soutient, avec raison, les étudiants étrangers qui sont loin de leur pays d’origine, mais on oublie que les étudiants autochtones vivent aussi un éloignement géographique, familial et social», insiste Laurent Jérôme.
Le Cercle des Premières Nations de l’UQAM
Créé en 1990 et composé de membres autochtones et allochtones, le Cercle des Premières Nations vise à soutenir les étudiants autochtones, notamment sur le plan de l’intégration à la vie universitaire et urbaine; à promouvoir et à diffuser la culture autochtone; à établir des liens d’amitié et de coopération entre les Autochtones et les Allochtones.
Garantir la sécurité culturelle
Les chercheurs proposent de garantir une sécurité culturelle aux étudiants autochtones. «L’ensemble des pistes d’actions formulées dans le rapport – pas une en particulier – offre des outils pour que les étudiants se sentent chez eux à l’UQAM, souligne le professeur. Cette réflexion devrait d’ailleurs se faire dans toutes les institutions non-autochtones: centres de santé, musées, hôpitaux, organismes gouvernementaux.»
Le rapport traite, notamment, des politiques d’admission et propose de réserver des places pour les étudiants autochtones dans des programmes contingentés. «Dans plusieurs universités, les programmes de médecine réservent des places pour les étudiants autochtones dans le cadre du programme “Je deviens médecin”, rappelle Léa Lefevre-Radelli. À McGill, un service existe pour aider les étudiants à préparer leur demande d’admission.»
Les deux chercheurs se réjouissent de la création à l’UQAM du groupe de travail sur la réconciliation avec les peuples autochtones. «Les rapports d’enquête sur les Autochtones au Canada ne manquent pas et les problèmes sont connus, dit le professeur. Il s’agit maintenant d’identifier à l’UQAM les actions à entreprendre et d’en assurer le suivi.»