Qu’est-ce que c’est une pute? Comment on fait pour avoir une blonde? Ça veut dire quoi faire une pipe? Si je dis oui à un garçon qui me demande de sortir avec lui, comment je vais l’annoncer à mes parents, et comment ne pas lui faire de peine si je lui dis non? «Ces questionnements sont ceux de filles et de garçons âgés de 10 à 12 ans», note Francine Duquet, professeure au Département de sexologie, qui a conçu le programme de prévention de la sexualisation précoce On est encore des enfants!
Ce programme éducatif, validé et clé en mains, est destiné aux intervenants des milieux scolaire (enseignants, directions d’école, psychoéducateurs, conseillers pédagogiques), communautaire et de la santé et des services sociaux, qui œuvrent auprès d’enfants du 3e cycle du primaire (5e et 6 e année). Il s’inscrit dans un projet de recherche-intervention plus large intitulé Outiller les jeunes face à l’hypersexualisation (voir encadré). Divers organismes ont appuyé financièrement sa création, dont le Secrétariat à la condition féminine du gouvernement du Québec, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le Forum jeunesse de la Montérégie Est et le Service des partenariats et du soutien à l’innovation (SePSI) de l’UQAM.
On est encore des enfants a été lancé à l’UQAM le 2 octobre dernier, en présence d’une quarantaine de personnes, dont plusieurs représentants du milieu scolaire. À cette occasion, la doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation, Monique Brodeur, a lu un mot du Secrétariat à la condition féminine: «Le programme lancé aujourd’hui est en cohérence avec la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes vers 2021, rendue publique par la vice-première ministre et ministre de la Condition féminine, Lise Thériault. Il reflète également des préoccupations de la Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles 2016-20121, dévoilée il y a près d’un an.»
Droit à l’enfance
Le programme a pour but de protéger le droit à l’enfance et de respecter le développement psychosexuel des enfants, souligne Francine Duquet. «Les enfants ont accès à une somme importante d’informations à connotation sexuelle – publicités, téléréalités, vidéoclips, jeux vidéo –, dont ils ne comprennent pas toujours les enjeux, notamment ceux reliés aux stéréotypes et aux rapports de sexe inégaux. C’est la responsabilité des parents et des enseignants d’aider les enfants à décoder le sens de ces messages. On oublie que l’on agit parfois avec les enfants comme s’ils étaient déjà des adolescents et avec ces derniers comme s’ils étaient des adultes.»
Après avoir fait une revue de littérature sur la sexualisation précoce, la professeure a mené des entrevues individuelles avec 24 enfants âgés de 10 à 12 ans dans des écoles d’une commission scolaire de Montréal. Ses résultats lui ont permis de définir des pistes d’intervention et d’identifier des thématiques de formation. Le programme qui en a résulté a été validé en 2015 auprès d’enseignants et d’intervenants en Montérégie et en Outaouais, avant d’être expérimenté en classe avec plus de 100 enfants de 5e et 6e année du primaire. «Des groupes de discussion avec des membres du personnel scolaire ont permis de constater que plusieurs enseignants et intervenants se sentaient peu outillés pour aborder certains aspects de la sexualité avec les enfants et pour répondre à leurs questions», note Francine Duquet.
Un phénomène marginal?
«La sexualisation précoce n’affecte pas la majorité des enfants, mais elle n’est pas un phénomène marginal», soutient la chercheuse. Elle touche des enfants exposés à des images explicites représentant la sexualité adulte, avant même qu’ils ne soient en mesure de composer avec la sexualité, tant sur les plans psychologique, émotif que physique.
La surenchère de messages à caractère sexuel peut avoir divers impacts sur les enfants: insatisfaction corporelle, perception stéréotypée des filles et des garçons, pression d’avoir un chum ou une blonde, observe Francine Duquet. Des enseignants lui ont raconté que des enfants au primaire sont traités de «putes», de «salopes» ou de «fifs», que des garçons demandent à des filles de leur faire une pipe, alors que d’autres enfants diffusent sur les réseaux sociaux des photos d’eux dénudés. «Une petite fille de 5e année du primaire m’a raconté qu’elle avait embrassé un garçon de son âge. Parce que tu m’as embrassé, je vais être ton chum, lui-a-t-il dit. Trois semaines plus tard, alors qu’elle ne voulait plus être sa blonde, le garçon et ses copains se sont mis à la traiter de salope», dit la professeure.
Outiller les jeunes face à l’hypersexualisation
Créé en 2005 dans le cadre d’un partenariat avec le Service aux collectivités (SAC) de l’UQAM, le projet Outiller les jeunes face à l’hypersexualisation comprend quatre volets: la recherche-intervention; la conception et la diffusion d’outils didactiques; des formations pour les intervenants œuvrant auprès des jeunes; des conférences pour les parents d’enfants des niveaux primaire et secondaire.
Le projet a permis non seulement de documenter le phénomène de l’hypersexualisation sociale, mais aussi de concevoir trois outils didactiques d’éducation à la sexualité:
– Le film Sexy Inc. Nos enfants sous influence, réalisé par Sophie Bissonnette, a obtenu le prix UNICEF 2007
– Le programme Oser être soi-même pour les jeunes âgés de 12 à 17 ans, qui a reçu, en 2014, le prix Égalité décerné par le Secrétariat à la condition féminine du gouvernement du Québec
– Avant même son édition finale, le programme On est encore des enfants ! a obtenu, en 2014, un prix en innovation sociale lors du concours Oser innover, organisé par le SePSI
Thématiques ciblées
Le programme aborde six thématiques – trois destinées aux enfants de 5e année et trois autres à ceux de 6e année –, chacune incluant un diaporama pour l’animation. «Être enfant ou être ado?», «Relations amicales et popularité» et «Médias, stéréotypes et images reliés à la sexualité» sont les thématiques abordées en 5e année, tandis que «Désir de plaire et éveil amoureux», «Vocabulaire sexuel et intimidation» et «Réseaux sociaux, Internet et sexualité» sont celles vues en 6e année.
Différentes activités pédagogiques à réaliser en classe et/ou à la maison sont associées à chacune des thématiques. Les enfants sont invités à répondre à des questions concernant, par exemple, les différences entre un enfant et un ado ou encore ce qu’il y a d’agréable ou de désagréable dans l’idée de grandir et de passer de l’enfance à l’adolescence. «Dans le cadre de la thématique Être enfant ou être ado?, les enfants discutent avec leurs parents de la façon dont ceux-ci ont vécu leur adolescence», note Francine Duquet.
Éduquer à la sexualité
Le programme s’inscrit dans les apprentissages d’éducation à la sexualité, tels que définis par le ministère de l’Éducation, et leur est complémentaire. Il faut tenir compte de la sexualité dans sa globalité, dit Francine Duquet, de ses aspects affectifs, relationnels, socioculturels, éthiques et biologiques. «L’éducation à la sexualité doit permettre de démystifier certains phénomènes, d’aborder la sexualité de manière franche, positive et nuancée, d’amener les enfants à développer leur jugement et leur capacité de discernement et d’affirmation. Bien que plusieurs thématiques d’éducation à la sexualité soient couvertes, le programme n’aborde pas spécifiquement celle de la puberté, sinon indirectement par le biais d’activités portant, par exemple, sur les différences corporelles entre l’enfance et l’adolescence ou sur les stéréotypes sexuels et sexistes à l’endroit des garçons et des filles. De même, nous n’abordons pas explicitement le thème de la prévention des agressions sexuelles, mais certaines activités sont directement associées à la prévention de la violence: popularité ou rejet auprès de ses amis-es; insultes sexuelles et intimidation; sécurité personnelle vis-à-vis des réseaux sociaux et en lien avec l’accès à la cyberpornographie, etc.»
Bien que l’éducation à la sexualité se fasse de manière encore très inégale en milieu scolaire, les écoles peuvent d’ores et déjà mettre en place la démarche prévue par le ministère. «C’est particulièrement important au primaire, où les enseignants développent une relation de proximité privilégiée avec les enfants, souligne la professeure. Chose certaine, la majorité des parents au Québec sont en faveur d’une éducation à la sexualité.»