Voir plus
Voir moins

Le bureau de demain 

Flexibilité, espaces ouverts et collaboratifs, gestion axée vers le coaching: le monde du travail est en révolution.

Par Valérie Martin

7 novembre 2017 à 10 h 11

Mis à jour le 7 novembre 2017 à 15 h 11

Chez GSOFT, les chiens du personnel sont les bienvenus en tout temps.Photo: Gsoft

À la réception du développeur de logiciels GSOFT, il est possible d’emprunter une trottinette pour circuler dans les grands lofts qui servent d’espaces de travail. Sans sortir du bureau, les employés peuvent boire un café fraîchement préparé par un barista et avaler un petit-déjeuner concocté par un chef. Sur les trois étages que possède l’entreprise, des espaces ont été aménagés pour servir de stations de détente, un hamac a été accroché au milieu de plantes vertes et on peut même relaxer dans une tente-roulotte typique des années 1970! Les employés gèrent leur temps et peuvent prendre des vacances quand ils veulent. Ils reçoivent des montres connectées pour Noël et ont même déjà célébré le Nouvel An sur un bateau de croisière dans les Caraïbes! Les chiens du personnel sont aussi les bienvenus en tout temps.

«Nous sommes très soucieux du bien-être de nos employés», affirme Kahina Ouerdane (LL.M. droit international, 2006), vice-présidente, culture et organisation, un terme qui remplace chez GSOFT celui de «ressources humaines». «Pour nous, les êtres humains ne sont pas des ressources jetables: ils possèdent des ressources», explique la vice-présidente.

La mission de GSOFT est de révolutionner le monde du travail – rien de moins – en créant des produits qui ont un impact positif sur la vie des travailleurs. «Nous souhaitons faire du Québec le meilleur endroit au monde où travailler!», dit Kahina Ouerdane. GSOFT, qui figure en 2017 sur la liste des meilleurs employeurs parmi les PME canadiennes, a développé, entre autres, le logiciel Office Vibe, une plateforme qui permet aux gestionnaires et à leurs équipes de mesurer l’engagement du personnel.

Les employés peuvent boire un café fraîchement préparé par un barista et avaler un petit-déjeuner concocté par un chef. Photo: Gsoft

Projets créatifs

Côté environnement de travail, horaires flexibles, repas santé et service de barista, les employés de l’agence de publicité Sid Lee n’ont rien à envier à leurs collègues de GSOFT. En plus, ils ont la possibilité d’obtenir du financement pour réaliser des projets personnels (expos de photo, scénarios de film, etc.) dans les grands studios de création de l’entreprise mis à leur disposition.

«Des membres de notre personnel me demandaient souvent mon point de vue sur leurs idées, ce qui m’a amené à mettre en place le Sid Lee Collective, un espace web et un lieu d’exposition in situ pour donner vie aux projets créatifs des employés et montrer tout leur potentiel», explique le cofondateur de l’agence, Philippe Meunier (B.A. design graphique, 1992). Baptisé Insoapropriate, le plus récent projet du Collective prend la forme d’une collection de savons naturels et végétaliens.

Au mois de novembre, la Journée Sid Lee rassemble tout le personnel pour participer à des jeux, à des ateliers et à un grand gala où sont récompensés les employés les plus appréciés par leurs pairs. «Lors de la création de l’agence, en 1992, mon partenaire d’affaires et moi avons décidé de faire du bien-être des employés notre priorité, souligne Philippe Meunier, qui est désormais chef de la création et associé principal. Nous voulions briser les frontières entre le bureau et la maison, entre les amis et les collègues, afin de mettre nos employés à l’aise au travail. On passe beaucoup de temps au bureau, alors mieux vaut le faire dans le bonheur! Toutes ces activités nous permettent de partager, d’échanger et de créer des liens.»

Chez Sid Lee, des salles sont mises à la disposition des employés pour réaliser des projets personnels.Photo: Sid Lee

Le bureau dématérialisé

Les jeunes travailleurs ont de nouvelles exigences, souligne la professeure au Département de management et technologie Claudine Bonneau (Ph.D. communication, 2012). Ils veulent des horaires souples, plus de mobilité et des espaces diversifiés. «C’est l’idée du bureau portatif: on peut amener ses dossiers et ses outils technologiques avec soi peu importe où l’on se trouve et avoir accès à ses documents en un clic, décrit la professeure. Le travail peut se faire n’importe où sur la planète, tant que les délais de livraison sont respectés.»

Claudine Bonneau, qui a travaillé pour plusieurs grandes entreprises, fait remarquer du même souffle que ce ne sont pas tous les employés qui peuvent se permettre un tel luxe. «Seules certaines catégories de travailleurs – ceux du domaine des communications, du savoir et de l’informatique, entre autres – peuvent travailler à distance, précise la professeure. Dans les milieux où il y a une pénurie d’effectifs, les meilleurs ont aussi ce privilège.»

Un aller simple pour Bali?

On les appelle les nomades numériques: ceux qui travaillent tout en voyageant aux quatre coins du monde. «C’est une forme extrême de travail à distance, explique Claudine Bonneau. Des gens qui peuvent travailler de n’importe où choisissent un endroit peu cher où vivre, généralement paradisiaque, comme Bali, par exemple, et où ils peuvent obtenir une bonne connexion internet.» Certains experts prédisent qu’en 2035, plus d’un milliard de personnes adopteront ce type de travail nomade.

Bosser au paradis n’est pas pour tout le monde. «Seuls ceux qui ont fait leurs preuves, qui ont une bonne réputation, de bons contacts et sont reconnus pour leurs compétences peuvent choisir ce mode de vie», précise la professeure, qui compte mener une étude sur le sujet.

Nouvelle tendance: le coworking

Même à l’interne, les entreprises cherchent à offrir plus de flexibilité à leurs employés. Ainsi, elles s’inspirent des espaces de coworking dans l’aménagement de leurs bureaux, afin de créer de nouvelles dynamiques entre les employés.

De plus en plus populaires, les espaces de coworking sont des lieux de travail partagés, qui permettent aux travailleurs autonomes et aux petits entrepreneurs en démarrage d’avoir accès à un réseau et à de l’équipement. Situés dans des cafés ou des bureaux, la plupart sont ouverts 24 heures sur 24 et offrent plusieurs types de forfaits en fonction des besoins des travailleurs.

Dans le Vieux-Montréal, le Crew Collectif & Café a élu domicile dans un édifice patrimonial. Photo: Crew Collectif & Café

À Montréal, les espaces de coworking se sont multipliés depuis quelques années. Dans le Vieux-Montréal, le Crew Collectif & Café a élu domicile dans un édifice patrimonial. L’architecture superbe du lieu – l’ancien siège social de la Banque royale érigé dans les années 1920 – lui a valu d’être nommé le plus bel espace de coworking au monde par le magazine Forbes au printemps 2017. À deux pas de l’UQAM, dans le village gai, le café La Graine brûlée affiche des airs plus bohèmes. On peut y louer trois espaces: le carrousel, une banquette circulaire permettant de réunir une quinzaine de personnes, la petite maison et un coin arcade. La coopérative Ecto coworking, située sur le plateau Mont-Royal, offre des forfaits flexibles aux travailleurs autonomes, en plus d’être dotée d’une salle de conférence munie d’un projecteur, d’une zone de repos pour faire une sieste et de cabines téléphoniques. WeWork, une entreprise newyorkaise spécialisée dans le coworking, occupe deux étages à la place Ville-Marie. En plus de pouvoir choisir entre des bureaux fermés et des tables communes, les locataires peuvent boire du café et …de la bière à volonté! Un espace de coworking en plein air, Aire commune, a même été ouvert cet été au cœur du Mile-End!

Certaines entreprises louent des espaces de coworking en complément à leurs bureaux traditionnels ou pour y délocaliser temporairement une équipe le temps d’un projet. Ici, on travaille au café La Graine brûlée.Photo: La Graine brûlée

Certaines entreprises louent des espaces de coworking en complément à leurs bureaux traditionnels ou pour y délocaliser temporairement une équipe le temps d’un projet, précise Claudine Bonneau. D’autres transforment leurs propres bureaux en espace de coworking: fini le poste de travail individuel!

Il ne faut toutefois pas sous-estimer le besoin de stabilité des travailleurs, remarque la professeure. «Il faut beaucoup d’énergie pour constamment changer d’environnement. Même les personnes les plus créatives ont besoin d’une routine.» Une recherche menée à l’Université York auprès de travailleurs occupant des bureaux non assignés a fait ressortir l’importance d’avoir un espace à soi. «Certains travailleurs avaient plus de difficultés à développer un sentiment d’appartenance. Les gens aiment se poser, avoir un lieu personnalisé où ils peuvent ranger leurs effets personnels et mettre leurs photos», illustre Claudine Bonneau.

Selon elle, la formule gagnante consiste à aménager plusieurs types d’espaces au sein d’une même organisation: des lieux ouverts et collaboratifs pour favoriser les échanges, la créativité et le travail en équipe, et des bureaux fermés, plus intimes, pour les tâches demandant de la concentration. Il existe même des bureaux amovibles, modulables et reconfigurables, permettant d’improviser une salle de réunion en un tour de main. «Le bureau de demain pourrait se définir comme un équilibre à atteindre entre diverses formes d’espace», croit la professeure.

Rénover la gestion

Si une architecture attrayante est un atout pour attirer et retenir les meilleurs employés, cela ne suffit pas. «Cela ne sert à rien d’avoir le nec plus ultra du bureau si le style de gestion reste campé au XXe siècle, observe Claudine Bonneau. Le design des bureaux doit s’accompagner d’une réflexion afin de revoir les méthodes de gestion et les pratiques de travail en entreprise.»

Le design des espaces de la firme Blue communications, conçus par le designer Jean-Guy Chabauty, ont été primés sur la scène internationale.
Photo: Blue communications

Le designer Jean-Guy Chabauty (B.A. design environnement, 1992), récipiendaire d’un prix international en 2013 pour l’aménagement des espaces de travail de la firme Blue communications, a eu l’occasion de le constater dans sa pratique. «Les entreprises s’épient les unes les autres, se copient et rivalisent entre elles, dit-il. Le design avant-gardiste est parfois un prétexte pour bien paraître et la mentalité de l’entreprise ne suit pas toujours.»

Kahina Ouerdane est d’avis que le mieux-être au travail passe par un nouveau mode de leadership. «Il faut tendre vers une prise de décision en équipe et un mode de gestion axé vers le coaching plutôt que le contrôle», dit cette ancienne avocate qui a longtemps œuvré dans des ONG à l’international.

«Il faut donner plus d’autonomie aux employés, confirme Claudine Bonneau. Le leadership doit être partagé et décentralisé et les environnements de travail, plus horizontaux et ouverts.» Cela peut prendre du temps. Les entreprises et organisations procèdent parfois par essai et erreur. Mais c’est la voie de l’avenir.