«Aujourd’hui, nous aborderons des éléments susceptibles de se retrouver dans l’examen final, annonce le professeur. Vous devrez pouvoir expliquer la “révolution” Samaranch, le scandale Ben Johnson et l’arrêt Bosman.» Spécialiste de la Russie et amateur de sport, le professeur au Département d’histoire Jean Lévesque donne le cours «Sport, politique et société dans le monde contemporain». Les quelque 40 étudiants présents proviennent du baccalauréat et du certificat en histoire, mais aussi du bac en science politique, en communication (journalisme) et en sociologie. Comme si le signal de départ d’une course de fond avait été donné, on entend déjà le cliquetis des claviers.
La séance d’aujourd’hui porte sur l’évolution du sport international depuis les années 1980. La globalisation des ligues sportives professionnelles et des Jeux olympiques reflète bien le phénomène de la mondialisation, souligne Jean Lévesque. «Pendant mes études doctorales, des Coréens en visite au Canada m’ont abordé dans la rue à Toronto, car je portais un maillot du club de soccer anglais Manchester United, qui était aussi leur préféré. C’est ça, la mondialisation…», illustre-t-il avec humour.
À la fin des années 1980, avec la fin de la guerre froide, la libéralisation de l’économie chinoise et la troisième vague de démocratisation – en Afrique, en Asie et en Amérique latine – la mondialisation du commerce s’est intensifiée. Les effets des politiques néolibérales de Reagan, aux États-Unis, de Thatcher, en Angleterre, et de leurs successeurs respectifs, ont aussi contribué au phénomène, explique plus sérieusement Jean Lévesque. «Ces politiques ont favorisé les échanges commerciaux transfrontaliers à l’échelle planétaire et le sport s’est inscrit dans cette mouvance», précise-t-il.
Les détracteurs de la mondialisation souligneront que le néolibéralisme a eu des effets négatifs même sur le plan sportif, car les inégalités sont criantes d’un pays à l’autre. «Ce sont habituellement les grandes puissances qui remportent des médailles, la seule exception étant la Norvège aux Jeux d’hiver, reconnaît le professeur. Le quart des pays participant aux Jeux olympiques n’a jamais gagné une seule médaille.»
L’héritage Samaranch
Jean Lévesque revient en début de séance sur le règne de Juan Antonio Samaranch à la tête du Comité international olympique (CIO), de 1980 à 2001. «C’est lui qui a ouvert la porte des Jeux aux professionnels, rappelle-t-il. À l’époque, le mouvement olympique était le dernier bastion de l’amateurisme, même si l’on savait que les Soviétiques envoyaient des professionnels entraînés par l’État.» Discipline par discipline, à partir des jeux d’hiver de Calgary en 1988, le sport olympique s’est professionnalisé, d’abord avec le ski alpin, puis avec le basket en 1992 à Barcelone. On se souviendra de la dream team américaine incluant Michael Jordan, Scottie Pippen, Magic Johnson, Larry Bird, Patrick Ewing et Charles Barkley. En 1998, à Nagano, les joueurs de hockey de la LNH ont suivi.
«Les droits de diffusion des Jeux ont fait du CIO, une organisation qui vivotait avant les années 1980, une véritable multinationale.»
Jean Lévesque
Professeur au Département d’histoire
Le legs le plus important de Samaranch, ce sont toutefois les droits de diffusion des Jeux négociés avec les réseaux de télévision. En 1976, pour les Jeux de Montréal, ces droits avaient rapporté 34,9 millions de dollars au CIO et les Jeux étaient retransmis dans 124 pays, illustre Jean Lévesque. En 1984, à Los Angeles, ces droits ont rapporté 286,9 millions de dollars et les Jeux ont été diffusés dans 156 pays. En 2008, les jeux de Beijing ont rapporté 1,7 milliard de dollars pour une diffusion dans 220 pays, soit la quasi-totalité de la planète. «Les droits de diffusion des Jeux ont fait du CIO, une organisation qui vivotait avant les années 1980, une véritable multinationale», souligne Jean Lévesque.
Le professeur aborde ensuite la question du dépassement des coûts, Montréal demeurant le cas le plus navrant, avec un dépassement estimé à huit fois le coût initial prévu. Les Jeux les plus profitables à une ville organisatrice ont sans doute été ceux de Barcelone, en 1992. «Ils ont coûté quatre fois plus que ce qui était prévu au départ, mais la ville a su profiter de belle façon des infrastructures construites, du réaménagement de certaines zones du centre-ville et de la conjoncture économique favorable pour attirer massivement les touristes dans les années qui ont suivi», explique l’historien.
Le dopage ne date pas d’hier
Impossible d’aborder les Jeux olympiques ou les grands rendez-vous sportifs internationaux sans parler de dopage. Dans les années 1920, on faisait déjà état de rumeurs de dopage au Tour de France, révèle Jean Lévesque. Et c’est en 1928 que la Fédération d’athlétisme annonce son intention de lutter contre ce fléau.
Dans les années 1940-50, l’ingestion d’amphétamines se répand. «Elles auraient été testées sur les soldats allemands du front de l’est durant la Deuxième Guerre mondiale afin que ces derniers puissent rester éveillés plusieurs jours et poursuivre le combat», précise le professeur. On note également les premiers cas démasqués d’injection de testostérone au milieu des années 1950, notamment chez des haltérophiles soviétiques.
«Vous connaissez peut-être l’expression “bâtie comme une nageuse est-allemande”?, demande le professeur aux étudiants qui s’esclaffent. Cela fait référence aux nageuses de l’ancienne République démocratique d’Allemagne (RDA), qui avaient remporté 11 des 13 médailles d’or en natation aux Jeux de Montréal et qui avaient franchement un physique hors normes. Quelques-unes d’entre elles sont passées à l’Ouest quelques années plus tard et ont révélé le système de dopage étatique qui avait été mis en place.»
«Vous connaissez peut-être l’expression “bâtie comme une nageuse est-allemande”? Cela fait référence aux nageuses de l’ancienne République démocratique d’Allemagne (RDA), qui avaient remporté 11 des 13 médailles d’or en natation aux Jeux de Montréal et qui avaient franchement un physique hors normes.»
Le scandale Ben Johnson, aux Jeux de Séoul de 1988, a marqué l’histoire olympique canadienne. «Tout était en place pour un duel au sommet entre Carl Lewis, la darling des Jeux de Los Angeles, quatre ans plus tôt, où il avait remporté l’or aux 100 mètres, 200 mètres, 4 X 100 mètres et au saut en longueur, et Ben Johnson, qui avait terminé troisième aux 100 m en 1984 et qui avait battu Lewis lors des Championnats du monde en 1987», raconte l’historien.
Lors de la finale du 100 mètres, Ben Johnson fracasse le record du monde en 9,79 secondes. Son triomphe sera de courte durée, car dans la nuit suivant sa victoire, il est reconnu coupable de dopage. Il perd sa médaille, son record et il est banni pour deux ans. «Quelques mois avant les Jeux de Séoul, Johnson s’était blessé à une cuisse, raconte Jean Lévesque. L’enquête a révélé qu’il avait fait usage de stanozolol, un stéroïde anabolisant banni par le CIO, afin d’accélérer sa guérison.»
La carrière du sprinter ne s’en est jamais remise. Les sanctions étaient justes, estime l’historien, mais Johnson semble avoir joué de malchance. «Plusieurs de ses concurrents ont été testés positifs durant les années subséquentes. Carl Lewis, qui a hérité par défaut de la médaille d’or, avait été testé positif trois fois aux États-Unis durant l’année menant aux Jeux, mais cela n’avait pas été révélé à l’époque.»
«La fabrication des héros sportifs est une entreprise fascinante… et les tricheurs s’en sortent rarement indemnes.»
Malgré la mise sur pied de l’Agence mondiale antidopage en 1999 (basée à Montréal), les scandales défraient encore les manchettes. Ce fut le cas en 2012 de Lance Armstrong, champion déchu de 7 titres du Tour de France. Le dernier scandale en date est celui impliquant la Russie, qui a mené au bannissement de la fédération d’athlétisme russe lors des Jeux de Rio en 2016 (quelques jours après le cours, le CIO annonçait l’exclusion de la totalité de la délégation olympique russe pour les jeux d’hiver de PyeongChang, qui s’amorceront le 9 février prochain). Certains espèrent que cette sanction présage le maintien d’une ligne dure de la part du CIO, note Jean Lévesque. «Derrière le dopage, il y a de la politique, beaucoup de politique. La fabrication des héros sportifs est une entreprise fascinante… et les tricheurs s’en sortent rarement indemnes.»
L’arrêt Bosman
La mondialisation a accentué le phénomène de main-d’œuvre mobile dans l’univers sportif. On retrouve, par exemple, de plus en plus de joueurs étrangers dans les clubs locaux – dans la Premier League anglaise (soccer), 69,2 % des joueurs proviennent de l’étranger.
En 1995, Jean-Marc Bosman, un joueur belge de l’équipe de Liège, voulait signer un contrat avec l’équipe de Dunkerque, en France. Même si son contrat était terminé, son club affirmait être propriétaire de ses droits. «Le joueur a poursuivi le club et la Cour européenne du travail a tranché en sa faveur, dans ce qui est désormais connu comme l’arrêt Bosman, qui stipule que ni une équipe, ni une ligue, ni une fédération ne peut empêcher un joueur de signer une entente avec l’équipe de son choix à la fin d’un contrat», explique Jean Lévesque. Question d’examen en vue!
Les diplomaties sportives
En deuxième partie du cours, Jean Lévesque aborde la notion de diplomatie sportive. «Certains pays se servent du sport pour augmenter leur prestige sur la scène internationale, explique-t-il. C’est notamment le cas des États-Unis, de la Chine et du Qatar.»
En organisant les Jeux de Los Angeles, en 1932, les États-Unis souhaitaient déjà vendre au reste du monde le style de vie américain. «La diplomatie sportive américaine passe beaucoup par la course aux médailles, note le professeur. Le pays souhaite ainsi montrer sa valeur et sa puissance. Ce fut le cas face aux Soviétiques durant une bonne partie du XXe siècle et c’est le cas aujourd’hui contre les Chinois, qui sont devenus ses principaux rivaux.»
Depuis le début des années 2000, la Chine tente de redorer son image à travers le monde, notamment par le biais de CCTV, une espèce de CNN chinois. Le pays revient de loin sur le plan sportif, explique l’historien. «Après son accession au pouvoir, en 1949, Mao a refusé la compétition internationale, car elle représentait la quintessence du sport bourgeois. La Chine voulait aussi que le CIO empêche Taïwan de participer aux Jeux. C’est ce qui explique que le pays a été absent des jeux de 1952 à 1984.»
Le retour de la Chine aux Jeux olympiques de Los Angeles n’est pas passé inaperçu: le pays avait envoyé 350 athlètes et y a remporté 24 médailles. En cinq olympiades, la Chine est devenue une puissance sportive planétaire, terminant au deuxième rang des médailles en 2000 à Sydney. «Les Jeux de Beijing, en 2008, ont été l’apothéose de ces efforts, rappelle Jean Lévesque. Les Chinois avaient mis le paquet: ils ont en quelque sorte remporté leur pari puisqu’ils ont coiffé les Américains pour le nombre de médailles d’or.»
«L’émir qui dirige le Qatar aurait dit qu’il est plus important d’être au CIO qu’à l’ONU…»
Le Qatar, qui a lancé la chaîne de télé Al-Jazeera en 1996, est un cas d’espèce en matière de diplomatie sportive. Le pays n’a pas de tradition sportive: on a choisi de naturaliser des athlètes étrangers et de miser sur le sport pour s’affirmer sur l’échiquier international. «L’émir qui dirige le Qatar aurait dit qu’il est plus important d’être au CIO qu’à l’ONU…», raconte le professeur.
En 2011, le fonds Qatar Sports Investments a acheté le club de soccer Paris Saint-Germain. «Le pays s’est acheté une visibilité et cela semble fonctionner, car les amateurs de foot français savent désormais où est le Qatar», analyse le spécialiste. Malgré les critiques à l’effet que le pays n’a pas de tradition de foot et qu’il y fera trop chaud en juillet (la solution: des stades climatisés!), le Qatar organisera la Coupe du monde de 2022.
Avant de terminer son cours, Jean Lévesque tient à donner un contre-exemple. «Pour un pays de plus d’un milliard d’habitants, les résultats sportifs internationaux de l’Inde sont intrigants, fait-il remarquer. En 100 ans, l’Inde a remporté un total de 26 médailles olympiques, dont la moitié en hockey sur gazon. À titre comparatif, les États-Unis en ont remporté 2521!»
L’une des explications? Les sports les plus populaires du pays, le cricket et le polo, ne sont plus des disciplines olympiques depuis longtemps. L’Inde n’aurait pas non plus apprécié la professionnalisation des sports olympiques, et c’est ce qui expliquerait en partie le déclin de son équipe de hockey sur gazon depuis 1984. «Le pays s’est qualifié une fois pour la Coupe du monde de soccer en 1950 et les joueurs y ont renoncé, car ils voulaient jouer pieds nus et on leur a interdit!», raconte l’historien.