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Des ennemis souterrains

Les vers de terre exotiques contribuent au déclin de plusieurs espèces de plantes indigènes dans les forêts nord-américaines.

Par Pierre-Etienne Caza

19 septembre 2016 à 15 h 09

Mis à jour le 19 septembre 2016 à 15 h 09

Photo: iStock

Le petit ver de terre que vous utilisez pour la pêche à la ligne n’est peut-être pas aussi innocent qu’il n’en a l’air. Des chercheurs allemands, en collaboration avec des collègues américains et canadiens, se sont penchés sur les données de 14 études et en ont conclu que les vers de terre exotiques contribuent au déclin de plusieurs espèces de plantes indigènes dans les forêts nord-américaines. «Les vers de terre sont des “ingénieurs” par excellence de l’écosystème. Ils modifient le sol forestier en consommant sa litière, en le mélangeant ainsi qu’en creusant des galeries qui en bouleversent la microstructure», explique Tanya Handa. La professeure du Département des sciences biologiques et de l’Institut des sciences de l’environnement est l’une des coauteurs de l’article publié dans Global Change Biology.

En agriculture, les vers de terre sont considérés comme des organismes bénéfiques, mais plusieurs écosystèmes nord-américains s’adaptent mal à leur présence souterraine. «Presque toutes les espèces de vers de terre ont disparu du continent nord-américain durant la dernière ère glaciaire, qui s’est terminée il y a environ 12 000 ans, relate Tanya Handa. Quand la glace s’est retirée, de nouveaux écosystèmes adaptés à des sols sans vers de terre ont vu le jour. Ce sont les premiers colons européens et les pêcheurs qui ont réintroduit des vers de terre exotiques en Amérique du Nord au fil des siècles.»

Tanya Handa

Selon les chercheurs, l’invasion de vers de terre progresse dans les forêts nord-américaines à raison de cinq mètres par année, bouleversant au passage les propriétés physiques et chimiques des sols. Le plus connu des vers de terre d’Europe centrale, le Lumbricus terrestris, traverse par exemple de nombreuses couches dans le sol et transporte de la terre alcaline, habituellement située en profondeur, jusqu’à la surface. «Tous ces bouleversements modifient le pH et l’humidité du sol et ont un impact sur les nutriments disponibles pour les plantes indigènes, particulièrement les herbacées, souligne Tanya Handa. La litière forestière agit comme une barrière retenant l’eau de pluie. Si les vers de terre consomment rapidement la litière, l’eau s’écoulera rapidement dans le sol. La surface plus sèche sera moins propice à la croissance d’autres organismes, comme les champignons mycorhiziens, dont de nombreuses plantes indigènes ont besoin pour survivre.»

Puisque les vers de terre vivent dans différentes couches du sol et que l’effet de leurs actions est cumulatif, l’étude souligne que plus il y a de types de vers dans un espace donné, plus il y a d’espèces de plantes qui disparaissent.

Parallèlement, l’activité des vers de terre exotiques met en place des conditions favorables à la colonisation du territoire par des plantes non-indigènes, habituées à partager l’espace avec les vers de terre.

«La multiplication des vers de terre exotiques a modifié la biodiversité et le fonctionnement de l’écosystème forestier nord-américain, relève Tanya Handa. Cela dit, il faudra poursuivre les études en prenant en considération d’autres variables, comme la surpopulation de cerfs de Virginie, qui ont également un impact majeur sur la flore indigène dans les forêts du sud du Québec.»