Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.
«Ça fait plus de 15 ans que les recherches qualitatives en criminologie et dans les centres jeunesse démontrent que certaines jeunes filles peuvent embarquer dans le pattern du prince charmant. Je ne suis donc pas surprise par les cas d’exploitation sexuelle d’adolescentes qui surgissent dans les médias», affirme Mireille Hébert, qui travaille dans un centre pour femmes de Montréal et qui est candidate à la maîtrise en communication, sous la direction de la professeure Nathalie Lafranchise, du Département de communication sociale et publique.
Le gouvernement québécois a réagi à la tourmente en annonçant la semaine dernière un programme d’intervention, que certains commentateurs ont jugé trop axé sur la répression plutôt que sur la prévention. Les groupes communautaires, qui détiennent une expertise reconnue en matière de prévention – et qui ont subi depuis l’an dernier d’importantes coupes budgétaires –, reprochent au gouvernement de ne pas les avoir consultés.
Mentorat femmes-filles
Parmi les efforts de prévention qui existent, Mireille Hébert participe à un projet mené par le Service aux collectivités de l’UQAM et la professeure Lafranchise, en collaboration avec un centre de femmes. Il s’agit d’un programme de mentorat visant à jumeler des jeunes filles avec des aînées. «Le projet a démarré officiellement en décembre dernier et nous avons organisé une demi-douzaine de rencontres de mentorat de groupe», raconte Mireille Hébert. Pour l’instant, aucune dyade n’a été créée, car les unes et les autres s’apprivoisent, au gré d’activités de réseautage. «C’est l’option du mentorat de groupe, un peu moins abordé dans la littérature scientifique, qui a été retenu d’entrée de jeu, explique Mireille Hébert. C’est une première étape qui pourrait être propice à l’établissement, ultérieurement, de jumelages spontanés.»
Une dizaine de filles âgées entre 14 et 17 ans participent au programme de mentorat, de même que 8 femmes âgées de 50 ans et plus. «Nous utilisons beaucoup la vidéo, notamment des productions que j’ai réalisées, afin de susciter des discussions sur une foule de sujets, indique Mireille Hébert. Jusqu’à maintenant, cela fonctionne, on sent un réel besoin d’échange chez les jeunes filles, qui reviennent d’une activité à l’autre, tandis que nous sentons le regard bienveillant que portent sur elles les aînées.»
Dans le cadre de sa maîtrise en communication, Mireille Hébert s’intéresse aux représentations sociales des relations amoureuses. Bien que le cadre de sa maîtrise dépasse celui du projet de mentorat, certaines notions sont transférables dans les activités entre filles et femmes. «L’estime de soi, la confiance en soi, l’affirmation de soi, la dépendance affective, savoir reconnaître une relation saine ou malsaine, tout cela est abordé dans notre projet de mentorat. Le renforcement de ces facteurs de protection pourrait contribuer à la prévention de l’exploitation sexuelle. On amène les jeunes filles à trouver leurs propres solutions, c’est une approche axée sur l’empowerment.»
Récemment, jeunes et aînées ont regardé un film dépeignant une relation où l’homme exerçait beaucoup de contrôle sur la femme. «Les échanges qui ont suivi ont été très intéressants, car certaines aînées avaient vécu de la violence conjugale et ont pu partager leur expérience avec les filles, raconte Mireille Hébert. Une autre fois, c’est une vidéo sur le cyber-harcèlement qui a suscité la discussion, les plus jeunes expliquant aux aînées ce que sont les réseaux sociaux et ce qu’ils permettent de faire.»
Des carences affectives sur le plan familial constituent le dénominateur commun de ces jeunes filles. «Se retrouver entourées de femmes âgées qui les écoutent transforme leur perspective sur ce qu’elles vivent ou ce qu’elles ont vécu, conclut Mireille Hébert. On ne soupçonne pas le bien qu’un contact signifiant peut faire dans la vie d’une personne.»