La lampe «collège», acquise par centaines depuis les années 1970, a éclairé plusieurs générations d’employés à l’UQAM et ailleurs dans le milieu institutionnel québécois. Avec son look vieillot et son abat-jour en toile beige, plusieurs usagers la considèrent désuète et nombreux sont ceux qui l’envoient au rebut. Depuis 2010, quelques spécimens ont été récupérés dans le cadre d’un projet de recherche/création du Laboratoire Design+Proximité du professeur Maurice Cloutier. Intitulé «Concevoir et fabriquer avec l’existant», le projet a permis de réactualiser la lampe «collège» pour lui donner une seconde vie à l’intérieur de l’UQAM.
Ce projet tire son origine d’une demande que Michel Jébrak, à l’époque vice-recteur à la Recherche et à la création, avait faite à Maurice Cloutier. Le vice-recteur souhaitait un luminaire pour son bureau et aurait aimé avoir une création uqamienne. «Je ne voulais pas créer une œuvre, mais cela m’a donné l’idée de demander un financement pour une recherche sur la qualité de l’éclairage en milieu de travail à l’UQAM», raconte le professeur.
C’est dans le cadre de cette recherche que Maurice Cloutier a constaté l’abondance de lampes «collège» traînant un peu partout, mal aimées des usagers et se retrouvant souvent dans les sites d’enfouissement. «Je me suis demandé si nous pouvions faire un travail d’actualisation pour arriver avec une proposition qui serait recevable culturellement», dit le professeur de l’École de design. Pour lui, il ne s’agissait pas de produire une œuvre d’assemblage de type ready-made, comme le font certains artistes avec des objets trouvés au rebut, mais plutôt de créer, à partir de l’ancien, «un nouvel objet reproductible en série, aussi petite soit la série».
Un nouveau cycle d’usage
Créer un objet pour le produire en série, c’est la démarche à la base du design. Mais «à la différence des méthodes habituelles en design, la démarche visait cette fois-ci à modifier un objet en vue de le réintroduire dans un nouveau cycle d’usage à long terme, dans une perspective de réduction à la source des déchets», souligne Maurice Cloutier.
La ou plutôt les lampes produites au terme du processus permettent de récupérer 70% des composantes originales. «Je n’ai pas voulu me limiter aux pièces d’origine, dit le chercheur. J’ai plutôt choisi de faire cohabiter le nouveau et l’ancien.»
C’est à partir d’un lot de lampes «collège» que Maurice Cloutier a conduit son projet. Cette notion de «lot» est importante pour le chercheur puisqu’elle s’inscrit dans une logique productive. «Avec le lot, on a l’idée d’une matière à transformer», dit-il.
Le premier modèle créé dans le cadre du projet de recherche est articulé et permet d’orienter la source lumineuse, ce que la lampe traditionnelle ne fait pas. «Pour qu’il y ait design, il faut qu’il y ait amélioration», observe le professeur. Mais la fabrication d’une lampe articulée nécessitant les pièces de deux lampes d’origine, Maurice Cloutier a eu l’idée de créer un second modèle, fixe, à partir des composantes restantes.
En maximisant l’utilisation de pièces usagées – certaines non modifiées et d’autres transformées – et en les combinant à de nouvelles composantes fabriquées à l’atelier multitechnique de l’École de design, il est ainsi parvenu à donner de nouvelles caractéristiques formelles et techniques aux lampes d’origine.
«On obtient un luminaire d’aussi bonne qualité qu’un neuf et qui répond aux normes d’une institution comme l’UQAM», affirme le chercheur. Les deux modèles ont reçu l’approbation de l’Association canadienne de normalisation (CSA Group). Vendue 100$ chacune, la lampe peut ainsi être réintroduite au sein de la communauté de l’UQAM. Déjà plus de la moitié des 30 exemplaires sont vendus, dont un à Michel Jébrak!
«Les couleurs jaune et vert n’ont pas été choisies au hasard, précise Maurice Cloutier. On a utilisé les surplus de peinture de l’émailleur pour privilégier une économie de moyens cohérente avec l’ensemble de la démarche. En plus, comme nous avons travaillé avec l’école-entreprise Formétal, le projet a contribué à la formation de jeunes inscrits à un programme d’insertion sociale et professionnelle.»
Économie circulaire
Au-delà de ce projet particulier, le professeur voit dans cette démarche la recherche d’un nouveau modèle de production et d’acquisition de biens. Un nouveau projet de recherche est d’ailleurs mené au Laboratoire Design+Proximité en vue d’actualiser des éléments de mobilier de la Commission scolaire de Montréal. «Au lieu d’acheter des fauteuils ou des pupitres par catalogue, pourquoi ne pas réactualiser certains de ces éléments par une démarche de design tout en donnant du travail à un atelier d’ébénisterie local, favorisant ainsi une économie circulaire de proximité?», demande le chercheur.
Les projets du Laboratoire veulent démontrer la viabilité à la fois environnementale, sociale, économique et culturelle d’une approche de revalorisation par le design. «Les universités, les commissions scolaires, les institutions publiques et les grandes entreprises regorgent de produits partiellement désuets ou en fin de vie qui pourraient être réintroduits dans un nouveau cycle d’usage à long terme grâce à une telle démarche, souligne Maurice Cloutier. Pour les designers, il s’agit d’une pratique qu’ils peuvent très bien s’approprier.»
Le projet «Concevoir et fabriquer avec l’existant» est exposé dans le hall du pavillon de Design jusqu’au 30 octobre.