
Le suicide représente un important problème de santé publique, causant chaque année plus d’un million de décès à travers le monde, et le Québec a longtemps affiché l’un des taux de suicide les plus élevés en Occident. Or, ces 12 dernières années, le nombre de suicides a chuté de 50 % chez les jeunes de la province et de 30 % chez les adultes. Ces données ont été divulguées au 28e Congrès mondial de l’Association internationale pour la prévention du suicide, tenu à l’UQAM du 16 au 20 juin derniers, sous le parrainage de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Accueillies par le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE), plus de 700 personnes se sont rassemblées pour discuter des dernières découvertes en prévention du suicide.
«On ne connaît pas encore les causes précises de la forte baisse du taux de suicide au Québec, mais la communauté scientifique estime qu’elle est due aux efforts concertés de tous les acteurs engagés dans la prévention, chercheurs, praticiens et décideurs», explique Réal Labelle, professeur au Département de psychologie.
En 1999, alors qu’on dénombrait 22 suicides par 100 000 habitants, un cri d’alarme avait été lancé. Cette année-là, le gouvernement mettait en place une stratégie nationale de prévention du suicide, axée sur la sensibilisation et le soutien aux personnes à risque.
«Au cours des dernières années, le Québec a développé un réseau de centres de prévention du suicide et des lignes d’écoute téléphonique sans frais pour toutes les régions, souligne Brian Mishara, lui aussi professeur au Département de psychologie et directeur du CRISE. Le traitement et le suivi des personnes suicidaires ayant des problèmes de santé mentale, notamment dans les Centres jeunesse, se sont améliorés de façon notable. Bref, les Québécois ont pris conscience qu’il était possible d’obtenir de l’aide.»
Recherches universitaires
Les recherches universitaires, dont celles menées par le CRISE, ont certes contribué à l’avancement des connaissances en matière de prévention du suicide. «Le Québec est devenu un exportateur non seulement de connaissances mais aussi de programmes de prévention», observe Brian Mishara. De concert avec d’autres membres du CRISE et l’Association québécoise pour la prévention du suicide, le professeur a participé à l’élaboration d’un programme destiné aux policiers et policières de Montréal, lequel est devenu un modèle dans différents pays. «En septembre 2014, dans son rapport sur le suicide, l’Organisation mondiale de la santé a cité ce programme comme un exemple de pratique exemplaire, note Brian Mishara. Au cours des deux années qui ont suivi l’implantation du programme, le nombre de suicides chez les policiers avait diminué de 80 % !»
Réal Labelle se souvient que l’on parlait très peu du suicide dans les cours cliniques, à l’époque où il faisait ses études de doctorat en psychologie. «Il y a 30 ans, dit-il, on ne savait pas comment intervenir auprès des personnes suicidaires. Au Québec, les acteurs du milieu communautaire ont été parmi les premiers à s’intéresser au suicide et à développer une expertise. Puis, des chercheurs comme Brian Mishara et Michel Tousignant, du Département de psychologie, ont mis l’épaule à la roue, tout en collaborant avec les centres de prévention. Aujourd’hui, l’UQAM est considérée, tant au Québec qu’au Canada, comme un leader de la recherche dans ce domaine.»
Nouvelles technologies
Les participants au congrès se sont penchés sur les pistes d’avenir pour prévenir le suicide. «Une équipe de chercheurs, dont fait partie Réal Labelle, a mis au point avec l’hôpital Rivière-des-Prairies un logiciel pour iPhone, capable d’évaluer l’état psychologique de malades hospitalisés pour tentatives de suicide, souligne Brian Mishara. L’outil permet aussi aux patients d’alerter leur famille et leurs amis quand ils ont des idées noires.» Plusieurs personnes qui cherchent de l’aide, les jeunes en particulier, ne téléphonent pas dans un centre de prévention et vont plutôt sur Internet, envoient des textos ou font du clavardage. «Les services de prévention doivent s’adapter à cette nouvelle réalité, dit le professeur. Au CRISE, nous menons des projets de recherche pour évaluer les meilleures interventions qui font appel aux nouvelles technologies.»
En février dernier, Réal Labelle et le psychiatre Jean-Jacques Breton ont coédité un supplément dans le Canadian Journal of Psychiatry, consacré aux facteurs de protection des conduites suicidaires à l’adolescence. «Pendant longtemps, les chercheurs se sont intéressés aux facteurs de risque et aux traitements curatifs, rappelle Réal Labelle. Depuis 10 ans environ, ils explorent les facteurs de protection. Nous savons que certaines pathologies en santé mentale, comme la dépression, sont chroniques. Il s’agit, tant en psychiatrie qu’en psychologie clinique, d’outiller les patients ainsi que leur entourage pour qu’ils soient capables de faire face à la prochaine tempête.»
La neurobiologie des comportements suicidaires constitue une autre voie d’avenir, poursuit le professeur. Plusieurs communications au congrès ont porté sur les plus récentes recherches en ce domaine.
Selon Brian Mishara, le nombre de suicides diminue à l’échelle mondiale. Cela dit, si certaines populations connaissent une baisse du taux de suicide, d’autres enregistrent une hausse préoccupante. «Aux États-Unis, par exemple, le taux de suicide chez les jeunes augmente chaque année. En Europe, certains pays sont aux prises avec un taux de suicide élevé chez les personnes âgées. Au Québec et au Canada, il faut agir en particulier auprès des populations autochtones, qui affichent toujours un taux de suicide alarmant.»