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Siffler en fractionnant

François Boucher-Genesse et Jean-Guillaume Dumont ont fondé Ululab, une entreprise spécialisée dans la création de jeux vidéo éducatifs pour appareils mobiles.

Par Marie Lambert-Chan

12 avril 2015 à 14 h 04

Mis à jour le 2 juin 2022 à 13 h 42

Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.​

Jean-Guillaume Dumont et Francois Boucher-GenessePhoto: Nathalie St-Pierre

C’est bien connu: les fractions sont la bête noire des élèves. Mais s’il n’en tient qu’à un petit mammouth collectionneur de sombreros et de hauts-de-forme, cela pourrait changer. L’animal préhistorique est la vedette de Slice Fractions, un jeu vidéo éducatif pour appareils mobiles né dans le studio de création Ululab, une entreprise cofondée par François Boucher-Genesse (M.A. éducation, 12) et Jean-Guillaume Dumont (B.A. communication, 06; B.Ed. éducation préscolaire et enseignement primaire, 10; M.A. éducation, 12). L’application connaît un succès fou depuis son lancement en février 2014 : distribuée dans 123 pays et traduite en 15 langues, elle cumule les honneurs, dont un Parents’ Choice Gold Award, une médaille d’or de l’International Serious Play Awards et une place dans le très convoité palmarès Le Meilleur de 2014 de l’App Store d’Apple.

Quel est le secret d’une telle réussite? «La plupart des jeux vidéo éducatifs proposent des activités scolaires maquillées en jeu et les enfants s’en rendent compte, répond Jean-Guillaume Dumont. Au contraire, Slice Fractions est un véritable jeu. Ses utilisateurs s’amusent vraiment… tout en apprenant!»

Le concept de base de Slice Fractions est tout simple: un mammouth progresse sur un chemin obstrué par des blocs de glace ou de lave que l’enfant doit détruire en faisant tomber une proportion équivalente de la matière contraire. Par exemple, pour éliminer deux cubes de glace égaux, il faut couper à parts égales le carré de lave qui flotte au-dessus d’eux. Le joueur intègre ainsi le concept des demies.

Dans Slice Fractions, l’échec et la démotivation sont impossibles: chaque tableau recommence tant que le problème n’est pas résolu et, s’il le faut, des indices sont fournis. Le joueur est récompensé non pas par un système de pointage, mais par l’octroi de chapeaux farfelus pour décorer la tête du mammouth. Très progressivement, le jeu introduit des fractions sous forme de chiffres, de même que les additions et les soustractions – qui se font naturellement, sans recourir aux signes de +, – ou =. Et tout cela se déroule sans la moindre explication. «Comme dans Mario Bros, l’apprentissage des règles de Slice Fractions se fait de façon intuitive, explique François Boucher-Genesse. La différence est que ces règles intègrent des notions de fractions au lieu d’être liées à des champignons qui font grandir le personnage ou à des ennemis qui le font rapetisser.»

Pour parvenir à ce résultat, les concepteurs (appuyés par leur associé Dany Joly, ex-programmeur chez Microsoft) ont testé leur matériel en classe à maintes reprises. «Une étape cruciale, estime François Boucher-Genesse. Nous n’avons rien laissé au hasard. Par exemple, 12 mammouths différents ont été présentés aux enfants. Nous étions persuadés qu’ils choisiraient celui au look Disney alors qu’ils ont préféré le plus absurde. Comme quoi il ne faut pas se fier à notre vision d’adulte…»

Les têtes pensantes d’Ululab ont aussi travaillé en étroite collaboration avec les professeurs Martin Riopel, du Département de didactique, Virginie Houle, du Département d’éducation et formation spécialisées, et Stéphane Cyr, du Département de mathématiques. «Ce lien avec l’université fait partie des fondements philosophiques de notre entreprise, affirme Jean-Guillaume Dumont. Nous nous assurons ainsi de la validité de notre approche pédagogique et de la mesure scientifique des retombées du jeu.»

En attendant les résultats d’une étude menée auprès d’enfants du primaire, le jeu semble atteindre sa cible. «Des parents nous écrivent que leur petit de cinq ans l’adore, signale François Boucher-Genesse. Avant même de commencer l’école, des enfants développent une relation positive avec les fractions et ça, c’est très encourageant!»

Ululab devrait bientôt étendre ses activités, entre autres grâce au Prix des entrepreneurs pour l’éducation 2015 de la Fondation Breteau, une récompense associée à un investissement de 100 000 dollars US. Les concepteurs du jeu ont déjà entrepris de percer le marché des établissements scolaires en concoctant une version de Slice Fractions pour leurs besoins. GlassLab Games Services, un organisme sans but lucratif financé entre autres par la Bill & Melinda Gates Foundation, en assurera la distribution.

Les deux partenaires travaillent actuellement sur un nouveau projet de jeu vidéo didactique portant sur les animaux et les écosystèmes. Ils ont reçu un financement de 250 000 dollars du Fonds des médias du Canada pour la première phase de développement de ce projet. «Nous comptons faire notre niche dans les jeux vidéo favorisant l’apprentissage conceptuel dans toutes sortes de matières, déclare Jean-Guillaume Dumont. Très peu de personnes s’y consacrent parce que c’est assez complexe. Or, c’est là que les jeux vidéo ont le plus à apporter.»

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 13, no 1, printemps 2015.