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Déjouer le temps

L’étudiant Jasmin Cormier-Labrecque s’intéresse à l’esthétique rétro dans la photographie mobile.

Par Claude Gauvreau

31 mars 2015 à 12 h 03

Mis à jour le 7 avril 2015 à 7 h 04

Nouvelle-Orléans Photo: Trish Korous

Ce qui est vieux n’est pas toujours obsolète ou démodé. Aujourd’hui, les images et les objets anciens connaissent une seconde vie et deviennent même tendance. C’est vrai, notamment, en ce qui concerne la photographie. Le fait de donner un air vieillot aux photos numériques, en créant des effets rétro ou vintage, constitue un véritable phénomène de mode.

Dans le cadre de son mémoire en histoire de l’art, intitulé «Historicité et temporalité de la photo mobile 2010-2015» , Jasmin Cormier-Labrecque s’intéresse à l’esthétique rétro des images photographiques, générée par les nombreuses applications des appareils mobiles. «L’appellation photographie mobile renvoie à toute photo réalisée à l’aide d’un appareil portable, comme un téléphone intelligent ou une tablette électronique», précise l’étudiant, qui travaille sous la direction du professeur Vincent Lavoie, du Département d’histoire de l’art.

Les premiers téléphones munis d’une caméra datent du tournant des années 2000. Le iPhone apparaît en 2007, suivi d’appareils de plus en plus sophistiqués. «On a de moins en moins besoin d’utiliser Photoshop ou son ordinateur pour traiter les images, dit Jasmin Cormier-Labrecque. Le téléphone intelligent que l’on porte sur soi permet de capter des images dans divers contextes et de les traiter instantanément.»

La nouvelle génération d’appareils mobiles donne accès à des applications qui facilitent le traitement des images. «Les plus populaires sont Hipstamatic, VSCOcam et, bien sûr, Instagram, qui compte aujourd’hui plus de 30 millions d’utilisateurs, rappelle le candidat à la maîtrise. Instagram s’accompagne même d’un important réseau de diffusion. On estime que 60 millions d’images sont diffusées chaque jour via ce réseau.»

Ambiguïté temporelle

Ces applications permettent de transformer le cadre, la bordure et le grain de l’image, lui donnant ainsi l’apparence, selon les cas, d’un daguerréotype, d’une vieille diapositive ou d’une photo polaroïd. «L’utilisation de filtres offre aussi la possibilité de décolorer l’image, d’ajouter à sa surface des égratignures, des déchirures, des grains de poussière, lesquels évoquent l’usure du temps», note Jasmin Cormier-Labrecque.

Celui-ci estime que ces effets esthétiques introduisent une ambiguïté temporelle qui  supplante le moment présent. «L’image semble appartenir à une autre époque, plus ou moins lointaine, tout comme la technique que le photographe  pastiche.»

Un besoin de mémoire

Prise de vue en Angleterre, 2015. Photo: Jake 7uk

Le rétro, ou le vintage, qui confère une valeur positive au passé, ne cesse d’envahir les domaines les plus variés de la culture contemporaine: mode, design, musique, cinéma, télévision, photographie, etc.

Paysage dans l’État de l’Utah, 2015.Photo: Rupert Ganzer

À quoi tient ce désir de redonner vie à ce qui n’est plus ? Comment expliquer la fascination pour une époque révolue ? Jasmin Cormier-Labrecque avance cette hypothèse: «Nous vivons à l’ère de la postmodernité, qui est marquée par une crise de confiance dans le progrès et l’avenir, par une perte de repères. Et cette crise s’accompagne d’un besoin de mémoire. En transformant, sous le mode du simulacre, les images contemporaines en images du passé, la photographie mobile contribue à entretenir une mémoire, même de manière artificielle.»

Jasmin Cormier-Labrecque Photo: Jasmin Cormier-Labrecque

Certains photographes amateurs considèrent, par ailleurs, que les images numériques sont aseptisées, c’est-à-dire trop lisses, trop propres, trop parfaites. «Le fait de les “salir” correspond peut-être à une quête d’authenticité, voire de vérité», observe le jeune chercheur.

Celui qui collabore aux travaux du Centre de recherche Figura sur le texte et l’imaginaire et du Centre de recherche en imagerie populaire, rattaché à l’École des médias, en est à l’étape de créer un corpus d’images afin de nourrir sa recherche. Pour ce faire, il sollicite la participation du grand public, l’invitant à lui faire parvenir des photos et à se rendre sur le site Internet du Centre Figura où se trouve un formulaire de consentement.

«J’ai reçu jusqu’à maintenant quelque 300 photos, dont près des deux tiers comportent un effet rétro», dit Jasmin Cormier-Labrecque avec un large sourire.