Les températures froides mettent à rude épreuve le moral des habitants de la Belle Province en cet hiver 2015. Heureusement qu’il y a de la neige pour refléter la lumière, disent certains, car autrement les paysages seraient uniquement gris et sales. «La lumière d’hiver est fascinante à plusieurs égards», affirme Daniel Chartier, professeur au Département d’études littéraires. Le Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord, qu’il dirige, organise un colloque intitulé «Les métamorphoses de la noirceur dans le Nord», qui aura lieu du 26 au 28 février à Reykjavík, en Islande. «La plupart des pays nordiques vivent une partie de l’hiver dans la noirceur, poursuit le chercheur. Nous avons décidé d’explorer ce thème, qui inclut également tous les phénomènes lumineux, comme les aurores boréales, de même que les mécanismes d’adaptation à cette noirceur à travers la lumière, que ce soit par l’éclairage intérieur ou urbain.»
Ce colloque, qui tombe à point car l’UNESCO procédait en janvier dernier au lancement officiel de l’Année internationale de la lumière 2015, se déroulera à la Maison nordique de Reykjavík. Il aura lieu en anglais, français et islandais. Outre le professeur Chartier, le comité organisateur regroupe des chercheurs en tourisme de l’Université d’Islande et en arts visuels de l’Académie islandaise des arts, ainsi que des responsables de la Maison nordique et de l’Ambassade du Canada en Islande.
Des conférenciers et des artistes
Comme dans les précédents colloques du Laboratoire, on fait la part belle autant à la recherche qu’à la création. «Cette fois-ci, les artistes ont été particulièrement nombreux à répondre à notre appel de propositions», note Daniel Chartier. Sur les quelque 150 propositions reçues, les organisateurs ont retenu une cinquantaine de conférences ainsi qu’une douzaine de performances artistiques. «La Maison nordique, dont les plans ont été dessinés par l’architecte finlandais renommé Alvar Aalto, se prêtera bien aux nombreuses séances de projections lumineuses, lesquelles requièrent des espaces restreints, sombres ou carrément dans la noirceur», ajoute Daniel Chartier.
Les conférenciers proviennent des pays scandinaves, bien sûr, mais aussi de l’Autriche, de la Suisse, de la Russie, de la France, de l’Angleterre, du Chili. Des chercheurs islandais présenteront un grand projet sur la lumière et les aurores boréales. «Les aurores boréales sont l’un des éléments qui fascinent le plus dans le Nord, note Daniel Chartier. En Islande, il y a des excursions pour en voir, mais les responsables du tourisme doivent surtout gérer des déceptions, car on ne peut pas commander des aurores boréales.»
Un artiste chilien, Diego Gómez Venegas, comparera la luminosité entre Santiago et Reykjavík en temps réel. «Au départ, il voulait effectuer ses projections lumineuses sur un glacier au centre de Reykjavík, mais il n’y en a pas près des villes, note Daniel Chartier. Cela illustre à merveille la construction de l’imaginaire nordique. On croit que l’Islande est un pays arctique, froid et très blanc, mais les hivers y sont habituellement très doux, à cause des courants marins qui réchauffent l’île.»
Six conférenciers proviennent de l’UQAM. Paul Landon, professeur à l’École des arts visuels et médiatiques, présentera une projection composée d’une centaine de vues de résidences illuminées de Berlin. «L’hiver est la période de l’année où les regards des marcheurs se tournent le plus vers les fenêtres illuminées des maisons, souligne Daniel Chartier. Et l’éclairage urbain fait partie de notre imaginaire hivernal.»
Le professeur Alain A. Grenier, du Département d’études urbaines et touristiques, se penchera sur les caractéristiques touristiques que sont la lumière et la noirceur pour les destinations polaires, en compagnie du chargé de cours Ari Virtanen, de l’École des sciences de la gestion. Denis Chouinard, professeur à l’École des médias, s’attardera à l’utilisation de la noirceur dans les œuvres cinématographiques. Caroline Donat, candidate à la maîtrise en études littéraires, analysera l’imaginaire du Nord dans deux romans québécois, Kamouraska, d’Anne Hébert, et Neige Noire, d’Hubert Aquin.
Daniel Chartier effectuera une présentation sur l’éclairage urbain, le Parcours lumière du Quartier des spectacles ainsi que les événements Luminothérapie et Montréal en lumière. «Ces événements sont de belles réponses à la noirceur de l’hiver, estime le chercheur. Et Montréal a vraiment une longueur d’avance sur les autres villes nordiques à cet égard. Nous avons compris que la lumière est importante en hiver. Et avec l’avènement des lumières LED, on peut être encore plus créatif.»
De son bureau au pavillon Judith-Jasmin, le professeur voit les projections sur la façade de la Grande bibliothèque en fin de journée. «Le but des festivals hivernaux et des événements de luminothérapie est d’inciter les gens à réinvestir les rues et les lieux publics extérieurs lors de la saison froide. Et ça fonctionne! Je vois des gens qui s’arrêtent devant la BAnQ et qui prennent le temps de regarder.»
Un imaginaire du Nord fertile
Il s’agit du dixième colloque organisé depuis 2003 par l’équipe du Laboratoire dirigé par le professeur Chartier. «Nous explorons tranquillement l’imaginaire du Nord», observe ce dernier, titulaire depuis janvier dernier de la Chaire de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique. Il projette déjà le thème d’un prochain colloque. «Nous nous pencherons sur l’hivernophobie à Montréal, Stockholm, Paris et Fribourg, dévoile-t-il. Nous étudierons ainsi quatre cas de discours hivernophobes.»
Le mot hivernophobe, précise-t-il, est un néologisme inventé par Louis-Edmond Hamelin, chercheur québécois qui a élaboré le concept de nordicité dans les années 1960. «Ce mot entre naturellement dans l’euphonie de la langue française, observe Daniel Chartier. Essayez-le en demandant à quelqu’un qui se plaint de l’hiver rude que nous vivons cette année. Demandez-lui s’il est hivernophobe. Tout le monde comprend instantanément ce dont il est question… et les gens s’en défendent. C’est très drôle!»