Voir plus
Voir moins

Trouver le bobo informatique

Atteint du syndrome d’Asperger, le technicien Georges Huard a trouvé à l’UQAM un milieu de travail épanouissant.

Par Pierre-Etienne Caza

17 janvier 2014 à 9 h 01

Mis à jour le 8 mars 2016 à 10 h 03

Série Dans les coulisses de l’UQAM

Des employés de l’UQAM, ceux qui, dans les coulisses, assurent le bon fonctionnement de l’Université, parlent de leur rôle au sein de notre institution.

Dans le bureau de Georges Huard, les plus récents modèles d’ordinateurs côtoient des vestiges du passé comme ce PowerBook 180 d’Apple, commercialisé en 1992. Photo: Nathalie St-Pierre

Programmeur informatique de formation, Georges Huard a travaillé pendant quelques années dans le domaine, mais ce ne furent pas des expériences très positives. «J’avais de la difficulté à conserver mes emplois, se rappelle-t-il. Je ne suis pas doué pour les interactions sociales et effectuer plusieurs tâches à la fois m’est difficile. On me jugeait incompétent.»

Il a abandonné sa profession pour être messager à vélo pendant neuf ans dans les années 1990. «C’est drôle quand j’y repense, car j’ai transporté les plans de construction du pavillon Président-Kennedy sans savoir que j’allais y travailler un jour!» Depuis 1997, Georges Huard est technicien en informatique au Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale (ESCER) et au Département des Sciences de la Terre et de l’atmosphère. Georges Huard a su qu’il était atteint du syndrome d’Asperger à l’âge de 36 ans, en 1995. «Cela m’a aidé à mieux comprendre pourquoi j’étais différent, dit-il. Enfin, je comprenais mes lacunes en matière d’habiletés sociales – décoder le langage non verbal, les subtilités de la mode ou reconnaître les gens par leurs visages.»

Sa difficulté à s’adapter aux changements explique son look des années 1970 et ses cheveux longs, affirme-t-il. «Je refuse les changements inutiles, explique-t-il en souriant. Pour mon travail, je dois constamment me mettre à jour et je n’ai pas de problème avec ça, mais mon look ne changera pas. En plus, je ne suis pas seul: deux ou trois de mes collègues au Département ont aussi les cheveux longs!»

Un travail valorisant

C’est en 1994 que Georges Huard a rencontré Peter Zwack, professeur à l’époque au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère – le professeur Zwack est décédé en 2005. «Nous nous sommes rencontrés lors d’une rencontre de parents à ce qui est aujourd’hui l’école de l’Étincelle, dédiée aux enfants autistes, explique Georges Huard. M. Zwack avait un fils autiste et j’y étais pour échanger avec d’autres parents, car j’ai un frère autiste avec déficience intellectuelle. C’est Peter Zwack qui m’a aidé à retrouver confiance en moi et qui m’a ensuite donné ma chance à l’UQAM.»

À l’UQAM, Georges Huard a trouvé un milieu tolérant et des collègues respectueux qui lui ont beaucoup apporté. «J’adore mon travail, qui consiste à m’occuper du parc informatique», dit-il. À deux reprises au cours de notre entretien, il s’absente pour retourner un appel d’un professeur aux prises avec un problème informatique.

Après 17 ans, il est capable de mettre le doigt rapidement sur le bobo quand un problème informatique survient et qu’on l’appelle, lui ou son collègue Frédéric Toupin. «Lui voit les choses dans leur ensemble et moi je suis dans les détails», précise-t-il.

Des intérêts pointus

«Les personnes Asperger ont des intérêts pointus, souligne le technicien. Bien sûr, j’adore l’informatique et je lis beaucoup sur le sujet.» Dans son bureau, il conserve de vieux ordinateurs et de vieilles pièces informatiques pour répondre aux demandes les plus incongrues. Mais ce n’est pas son seul centre d’intérêt. Les superbes photos de nature, d’insectes et de voyages qu’il publie sur sa page Facebook valent le détour.

Georges Huard aime beaucoup les bibliothèques de l’UQAM. Il peut y passer des heures à feuilleter des livres sur ses passions. «Je n’aime pas les livres abstraits, précise-t-il toutefois. Il faut qu’il y ait des maquettes, des images et des couleurs.» Il préfère encore les livres papier à leurs versions numériques. «À la bibliothèque, il faut marcher parmi les rayons, c’est beaucoup plus santé qu’Internet», lance-t-il en riant.

Fan de musique, il adore son iPod, qui lui permet d’avoir à porter de main sa collection de disques. «J’aime tellement la musique qu’il y a quelques années, je mettais des écouteurs par-dessus ma tuque avec mon walkman à cassettes dans mon sac», se rappelle l’ancien messager à vélo.

Son implication sociale

Georges Huard a grandement contribué à sensibiliser la population à l’autisme et au syndrome d’Asperger en donnant des conférences dans les écoles et  les cégeps. Il prend aussi la parole à l’université auprès des futurs enseignants en éducation spécialisée – ce sera notamment le cas dans une classe de la professeure Crista Japel en mars prochain. «Je traite de l’intégration sociale des personnes Asperger en expliquant mes stratégies d’adaptation», précise-t-il. C’est à ce propos qu’il a été interviewé l’automne dernier dans le cadre de l’émission Une pilule, une petite granule, diffusée à Télé-Québec.

«Mes talents de conférencier sont désormais reconnus», dit-il fièrement. Il a notamment collaboré à maintes reprises avec Autisme et troubles envahissants du développement de Montréal, la Fédération québécoise de l’autisme et la Société Canadienne de l’autisme. «Je suis même allé en France, en 2008, lors du congrès Autisme France et en 2012 à Caen et à Angers pour rencontrer des lycéens», précise-t-il.

Lauréat de prix

Son engagement dans la lutte contre les préjugés à l’égard de l’autisme lui a valu en 2013 la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II. Près de 60 000 Canadiens ont reçu cette distinction, décernée à des citoyens qui ont apporté une contribution significative à leur communauté et leur pays.

Georges Huard fut également le premier lauréat du prix Peter-Zwack en 2006, lequel vise à reconnaître les organisations qui intègrent des personnes autistes au travail. Ce prix récompense l’organisation, la personne responsable de l’embauche et la personne atteinte d’un trouble envahissant du développement.