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Vieillir avec le VIH

Les personnes atteintes du VIH vivent plus longtemps qu’avant, mais leur état de santé comporte son lot de défis.

Par Pierre-Etienne Caza

9 octobre 2013 à 10 h 10

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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Identifié par les autorités médicales en 1981, le VIH/Sida a fait des millions de victimes à travers le monde. Les avancées pharmaceutiques ont toutefois changé la donne au cours des dernières années. «Grâce aux médicaments antirétroviraux, le VIH se transforme en une maladie chronique avec laquelle les personnes vieillissent, ce qui est positif en soi, note la professeure Isabelle Wallach, du Département de sexologie. Sauf que ce phénomène émergent pose d’autres défis.»

Embauchée à l’UQAM en 2012, la jeune chercheuse s’est intéressée aux personnes de 50 ans et plus vivant avec le VIH (PVVIH50+) dans le cadre d’une recherche menée en collaboration avec la clinique médicale l’Actuel et financée par le ministère de la Famille et des Aînés. «Il s’agit d’une recherche qualitative, au cours de laquelle j’ai mené des entrevues individuelles auprès de 38 personnes âgées entre 50 et 73 ans vivant avec le VIH et d’une douzaine d’intervenants du domaine de la santé», précise Isabelle Wallach.

Son échantillon était diversifié: il comportait des femmes et des hommes – hétérosexuel(le)s ou homosexuel(le)s – ainsi que des personnes issues de minorités ethniques et des utilisateurs ou ex-utilisateurs de drogue par injection.

De ces 38 personnes, 23 ont été infectées avant 50 ans et 15 l’ont été après, une donnée qui peut surprendre. On note en effet une augmentation du nombre de nouvelles infections chez les personnes de 50 ans et plus, souligne Isabelle Wallach. Au Canada, les cas de nouveaux diagnostics de VIH chez les adultes plus âgés sont passés de 10,6 % en 1999 à 18,9 % en 2011. «Plusieurs hommes n’ont pas été sensibilisés à l’usage du condom et, comme certaines femmes du même âge, l’associent uniquement à un moyen de contraception, avance la chercheuse. Ces personnes ne se sentent pas concernées par le VIH/Sida et la santé publique ne les considère pas non plus comme une population cible pour ses campagnes de prévention.»

Impacts du vieillissement et VIH

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Isabelle Wallach. Photo: Nathalie St-Pierre.

Les premiers constats de la chercheuse sont durs. «Plusieurs PVVIH50+ ont perdu leur emploi pour cause de discrimination liée au VIH, explique-t-elle. À partir de là, tout s’enchaîne: leur situation économique précaire mène à des difficultés pour accéder à une nourriture de qualité, aux soins corporels, aux soins médicaux et paramédicaux et à des logements de qualité. Plusieurs ont vendu leur voiture et ils se retrouvent isolés de leur famille et de leurs amis.»

Cette population vit un vieillissement prématuré, poursuit la professeure. «Le VIH provoque un phénomène d’inflammation continue du corps, qui se combine aux nombreux effets secondaires des antirétroviraux. Cela se traduit par une détérioration précoce de la santé.» Ce vieillissement prématuré, peu documenté dans la littérature, est parfois très apparent.

La stigmatisation liée au VIH se combine aux effets de l’âgisme – la discrimination liée à l’âge. «L’idéalisation des corps parfaits, que l’on retrouve beaucoup au sein de la communauté gaie, rend le vieillissement prématuré très difficile à vivre pour les hommes gais de 50 ans et plus qui vivent avec le VIH», note la chercheuse.

Plusieurs maladies chroniques sont aussi vécues parallèlement au VIH – cancer, problèmes rénaux, problèmes hépatiques, problèmes cardiovasculaires et problèmes de santé mentale, entre autres. Les personnes qui en souffrent ont des difficultés à mener leurs activités quotidiennes et expérimentent de ce fait une perte d’autonomie qui a un impact sur leur vie sociale.

Les hétérosexuels et le VIH

Les hétérosexuels sont plus exposés à la discrimination liée au VIH, a remarqué Isabelle Wallach. «Dans leur milieu, on n’imagine pas que des hétéros puissent avoir le VIH. On entretient le préjugé non fondé selon lequel ce sont des personnes adultes qui devraient être responsables. On oublie que tout le monde peut se retrouver dans une situation à risque.»

L’autre difficulté des hétérosexuels, c’est qu’il n’y a pas de services spécialisés pour eux. Les organismes communautaires, par exemple, ne les ciblent pas. On intervient auprès des hommes gais et des utilisateurs de drogue, mais pas auprès des hétérosexuels. «Ils vivent donc cela dans le secret, isolés», se désole la chercheuse.

L’accès aux soins et aux services

Puisque les PVVIH50+ voient leur santé péricliter, elles ont recours au système de santé plus tôt. Or, la stigmatisation liée au VIH rend l’accès au système de santé encore plus ardu, a constaté la chercheuse. «On repousse ces patients sur les listes de chirurgie ou on les fait attendre longtemps, que ce soit dans les CLSC, les hôpitaux, chez le dentiste, etc. À ma grande surprise, j’ai découvert que même les intervenants du système de santé – pourtant formés pour soigner toute la population – ne sont pas à l’aise avec le VIH.» 

L’hébergement est également un enjeu crucial pour les PVVIH50+, poursuit-elle. «C’est une source de grande inquiétude pour elles. Il n’y a aucune résidence spécialisée pour ces personnes. Les maisons pour personnes âgées ne sont pas prêtes pour cela.»

Résilience

Malgré ce sombre portrait, plusieurs PVVIH50+ témoignent d’une grande force et font preuve de résilience. «Elles se trouvent chanceuses d’être en vie et elles considèrent même que leurs parcours avec le VIH les a renforcées, note la professeure. En dépit de problèmes de santé importants, plusieurs portent un regard positif sur le vieillissement et certaines sont même source de soutien pour leurs enfants ou proches aidants pour leurs parents âgés.»

La recherche d’Isabelle Wallach a mis en évidence les difficultés majeures auxquelles sont confrontées plusieurs PVVIH50+. «Il apparaît donc essentiel de leur offrir les moyens de vieillir sereinement, en santé, en étant reconnues, entourées et dans des conditions matérielles décentes, conclut-elle. Ce vieillissement serein ne pourra devenir réalité sans le concours de ressources médicales, psychosociales et communautaires, et sans des structures d’hébergements adaptées. Il faudra également se doter de réels moyens de lutter contre la stigmatisation du VIH et du vieillissement.»

Publications

Isabelle Wallach vient de publier un article intitulé «Ageing with HIV/AIDS: a scoping study among people aged 50 and over living in Quebec», dans la revue Ageing and Society.

Elle vient également de diriger le plus récent numéro de la revue Frontières, qui porte sur Le vieillissement et sa diversité, dans lequel elle a publié un article sur l’expérience du vieillissement chez des femmes et des hommes vivant avec le VIH.