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L’imaginaire posthumain

L’homo sapiens est-il en voie de céder sa place à une espèce supérieure, le posthumain?

Par Claude Gauvreau

6 juin 2013 à 0 h 06

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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Peut-on imaginer un monde où les êtres humains seraient non seulement plus forts et plus intelligents, mais où ils auraient une espérance de vie infinie? À quoi ressemblerait un tel monde? Ces questions, et bien d’autres, étaient au centre des discussions lors d’un colloque international tenu récemment à l’UQAM. Intitulé Les frontières de l’humain et le posthumain, ce colloque était organisé par Figura, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, en collaboration avec le Centre d’études interdisciplinaires du monde anglophone de l’Université de Bretagne occidentale.

Depuis quelques années, le concept de posthumain suscite la réflexion dans les milieux scientifique, philosophique et culturel. Son apparition est étroitement liée aux avancées scientifiques et technologiques – robotique, génomique, bio-informatique, neurosciences, nanotechnologies – qui nourrissent l’ambition de rendre l’être humain plus performant et de prolonger sa vie. Le clonage de la brebis Dolly à partir d’une cellule adulte, à la fin des années 90, puis le premier séquençage de l’ADN humain, en 2003, ont notamment généré l’espoir de guérir des maladies complexes, mais aussi de produire une personne humaine améliorée.

Guérir ou améliorer?

Selon le professeur Jean-François Chassay, du Département d’études littéraires, membre du centre Figura et l’un des organisateurs du colloque, le spectre des réactions au phénomène du posthumain est très large. «Nombreux sont ceux qui croient en l’avènement d’un monde posthumain, estimant qu’il faut tout faire pour améliorer les conditions biologiques de l’être humain», dit-il. Certains se demandent même si l’on doit nécessairement mourir, si l’on ne pourrait pas guérir de la mort. «D’autres, comme le biologiste français Jacques Testart, le père scientifique du premier bébé éprouvette, s’inquiètent des dérives que certains développements biotechnologiques pourraient entraîner, poursuit Jean-François Chassay. Ainsi, grâce aux manipulations génétiques, des gens voudraient pouvoir choisir le sexe de leurs rejetons ou déterminer leur profil physique ou intellectuel.»

D’une certaine façon, le posthumain réactive le mythe de l’homme nouveau en propageant une nouvelle utopie visant à affranchir l’espèce humaine de ses limites biologiques. «Certes, tout le monde applaudit devant les développements de la science qui permettent de traiter et d’éradiquer maladies ou handicaps, constate le professeur. Mais où se trouve la frontière entre guérir et améliorer?»

Un mythe persistant

Comment s’élabore ce grand mythe qui consiste, depuis le golem et les automates du XVIIIe siècle jusqu’aux créations virtuelles, à vouloir fabriquer un être artificiel capable, comme l’être humain, de réfléchir? «Cet imaginaire de l’être artificiel traverse toute notre culture et provoque des espoirs exaltants aussi bien que des craintes nombreuses, note Jean-François Chassay. Il joue un rôle central à la fois dans le discours social et dans la fiction.»

Au cinéma, des films, comme Métropolis (1927), de Fritz Lang, ou Blade Runner (1982), de Ridley Scott, ont joué un rôle important en abordant la question de la frontière entre l’humain et le posthumain et, plus largement, celle du rapport à l’altérité. «Dans Blade Runner, par exemple, un ancien policier traque un groupe de réplicants, des robots créés à l’image de l’homme, afin de les éliminer», rappelle le chercheur.

Le syndrome de Frankenstein

L’imaginaire de l’être artificiel se manifeste aussi dans les arts visuels, le théâtre et la littérature. La parution du roman Frankenstein, de Mary Shelley, en 1818, est considérée comme un moment fondateur. «Pour la première fois, une histoire racontait la création d’un être artificiel qui ne dépendait pas de l’action des dieux, observe Jean-François Chassay. Pour la première fois, un être humain créait un double amélioré qui se retournait contre lui.»

Jusqu’où la science a-t-elle le droit d’aller? Faut-il lui imposer des limites ou la laisser libre de faire tout ce qu’elle veut? «Ces questions, qui font partie des débats actuels sur l’éthique scientifique, témoignent de la présence du syndrome de Frankenstein, soutient le professeur. Dans les années 70, un article du New York Times portant sur les premières expériences de bébé éprouvette était d’ailleurs intitulé: Le mythe de Frankenstein est devenu réalité